Le temps, c’est de l’argent – un peu de calcul

Dans un pays où les inégalités économiques se creusent, sous forme de croissance du nombre de foyers placés sous le seuil de pauvreté et du nombre de milliardaires sur son sol, je me suis livré à un petit exercice de calcul, pour visualiser un peu mieux l’échelle de la fortune d’un milliardaire. Pour cela, je vais faire une analogie avec la mesure du temps, en particulier en assimilant un euro à une seconde. Je vais écrire les nombres en chiffres et en lettres pour une plus grande lisibilité.

Il y a 60 (soixante) secondes dans une minute, donc il y a 3 600 (trois mille six cents) secondes dans une heure. Par extension, il y a 86 400 (quatre-vingt-six mille quatre cents) secondes dans une journée et 31 536 000 (trente-et-un millions cinq-cent-trente-six mille) secondes dans une année non bisextile.

J’attire votre attention sur le fait que même en dénombrant le nombre de secondes que contient une année entière, on est encore loin de compter à l’échelle du milliard de secondes. Un milliard (1 000 000 000) de secondes, c’est environ 31 ans, 8 mois et 19 jours.

Un milliard d’euros, c’est autant d’euros qu’il faut de secondes pour atteindre 31 ans, 8 mois et un peu plus de 19 jours.

Prenons la fortune estimée à ce jour d’un milliardaire, Bernard Arnault : 74.7 milliards d’euros (74 700 000 000 €).

74.7 milliards de secondes, ça fait un peu plus de 2 368 (deux mille trois-cent-soixante-huit) années.

Autrement dit, si Bernard Arnault arrêtait subitement de gagner le moindre centime aujourd’hui, il pourrait encore dépenser 1€ par seconde (donc 3 600€ par heure, donc 86 400€ par jour) pendant 2 368 ans.

Là aussi, j’aimerais visualiser l’échelle de cette durée qui ridiculise l’espérance de vie humaine. Donc je vais me tourner vers l’histoire, vers le passé.

Il y a 2 368 ans, Platon était vivant.

C’est plus clair, maintenant ?

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Le Deuxième Amendement

Deuxième Amendement de la Constitution des Etats-Unis d’Amérique :

A well regulated militia being necessary to the security of a free state, the right of the people to keep and bear arms shall not be infringed.

Le lobby des marchands d’armes américain ne cite jamais, dans aucune circonstance, ce qui précède la virgule.

Ce qui précède la virgule, c’est ce qui rend évident le fait que cet amendement existe pour dire que la Fédération (l’entité régulée par cette Constitution, s’il est nécessaire de le rappeler) n’a pas le droit d’empêcher un Etat de se constituer des forces armées comme, évidemment, la police.

Le deuxième amendement existe pour garantir l’existence des sheriffs, pas le port d’arme à tous les habitants du pays.

A Chaud

Je vois des amalgames partout.

On me parle de liberté d’expression et je ne vois pas le rapport. Je ne vois même pas le rapport avec la liberté de la presse, dans la mesure où ce sont des civils isolés qui ont agi, pas l’Etat.

La journaliste russe qui s’est fait empoisonner par sa patrie, ça, ça m’a fait mal à la liberté de la presse. Charlie, ce qu’ils en font, de leur liberté, je trouve ça tellement bas que c’est presque une insulte à ceux qui se sont battus à travers les siècles pour la leur donner.

J’ai aussi constaté qu’il est devenu très difficile d’arborer l’opinion « je n’aime pas Charlie Hebdo et je ne me reconnais pas dans la ligne éditoriale de ce journal », pourtant si populaire il y a peu, vu les difficultés financières du torchon.

C’est cool parce que comme, pour une fois, ce sont des civils isolés qui ont agi, y a des ennemis qui sont communs à vraiment beaucoup de monde, du coup unité constatée en France, une manif qui applaudit les flics, faut être un glaçon cynique pour pas trouver ça beau.

Je constate aussi qu’aux Etats-Unis, il y a un consensus chez tout le monde, de gauche ou de droite, en haut ou en bas, cathos intégristes ou athées, pour considérer que cet événement est la preuve que l’Islam est une religion violente (au sens de « violente, par opposition aux autres »), et j’en vois quelques aspects transparaître parfois en France (édito de G. Proust qui parle d’un parallèle avec un chrétien intégriste qui « aimerait les uns mais aussi les autres », sous-entendant que le christianisme est la religion des bisounours et l’islam celle des shadoks), et ça, ça me fout grave la mort.

Je me demande combien de colonnes de textes Abd Al Malik et ses coreligionnaires vont devoir écrire pour qu’on se mette à considérer cette religion sous le même jour que les autres, quand il suffit que trois dégénérés mentionnent le Prophète pour qu’on fasse un 180 comme si c’étaient les nouveaux papes de l’Islam.

Je me demande dans combien de temps on finira par comprendre que Dieudonné fait passer du scandale humoristique pour de l’humour scandaleux et qu’il est le pire avocat de la Liberté d’Expression, ex aequo avec Zemmour (la seule différence c’est que Zemmour fait pas semblant de cacher ses propos inflammables dans des blagues).

J’aimerais bien qu’on se souvienne qu’il suffit pas de parler de Mahomet pour être musulman.
J’aimerais bien qu’on se souvienne que le fait d’être une blague n’empêche pas une blague de merde d’être de la merde.
J’aimerais bien qu’on se souvienne que le civisme, c’est toute la semaine, pas juste les soirs et weekends.
J’aimerais bien qu’on se souvienne de dimanche aprèm jusqu’à mercredi.

Globalement, cette période me rend juste méga triste et honnêtement, ça me fait bien chier de me réveiller en France en ce moment.

Je suis fier que les abrutis aient attendu le lendemain pour foutre le feu à une mosquée. Fier.
Je suis fier que Charlie ait attendu le numéro suivant pour recommencer. Fier.

Mais si tu dis sans cesse de nous qu’on est pas chez nous, qu’on est pas comme toi, alors pourquoi tu t’étonnes quand certains agissent comme s’ils étaient pas chez eux, comme s’ils étaient pas comme toi ?

Abd Al Malik – « HLM Tango »

La Crème de la Crème

Bien sûr, il fallait que Kim Chapiron raconte l’histoire consternante d’une petite fille modèle qui se prend au jeu du vice.

Plutôt que l’histoire, forte d’inspiration, d’un mec qui se dresse au-dessus de ça pour s’en sortir dignement.

Parce que sinon, on pourrait pas mettre l’héroïne à poil.

Je vois que son postulat de « La Crème de la Crème » s’applique aussi aux réalisateurs français.

Ce n’est pas en recréant les mêmes situations, en réalisant, caméra au poing, les mêmes atteintes aux dignités des corps et des coeurs d’acteurs qui ont les mêmes âges, qu’on envoie un message positif.

Conclusion : ceci n’est que du voyeurisme.

C’est d’autant plus insupportable que ça vient d’un mec qui a commencé en faisant des clips de rap. Qui voulait porter un autre regard sur un monde dont les media ne montrent que les mauvais côtés . Et c’est exactement l’opposé de ce qu’il fait sur les Grandes Ecoles.

Tu avais le choix entre raconter l’histoire de Tre Styles et celle de Doughboy Baker.

Tu as fait ton choix.

Alors Kim, je te rétorque des mots issus de cet art dont tu viens à l’origine :

On montre les caisses qui crament, et la réussite, on en fait quoi ?

Koma, « Et si chacun… », 1998.

Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes du genre de celles de Hitler sont dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée-même de révolte ne viendra plus à l’esprit des hommes. L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées.

Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif.

Surtout pas de philosophie.

Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique.

Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser.

On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquilisant social, il n’y a rien de mieux. En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté.

Serge Carfantan, Sagesse et Révolte, prosopopée d’Aldous Huxley, 2007.

A rapprocher de ces vers :

Ces gens ont tous les ingrédients

Ils nous font foutre le camp

En rendant répugnants

Les cours aux étudiants

Fabe, Nuage Sans Fin, 1998

Brave New World

Il y a mort d’homme

La personne responsable de l’association centralienne qui organisait la soirée où un étudiant de 19 ans s’est tué à l’alcool en 2005 est jugée en ce moment. Le verdict tombera dans les prochains jours.

L’accusation : homicide involontaire.

Cette personne, qui a travaillé très dur en classes préparatoires pour arriver dans cette école très prestigieuse et atteindre un niveau d’excellence technique convoîté par tant de lycéens, est morte.

La cause du décès : la stupidité. Cette caractéristique qu’on pense être la dernière à trouver chez un étudiant centralien.

Cette autre personne, qui a travaillé tout aussi dur pour rentrer à Centrale, puis supposément encore un peu plus pour gagner suffisamment de reconnaissance de ses pairs pour devenir Président d’une association d’étudiants, est accusée d’homicide involontaire.

D’avoir tué quelqu’un.

Mettre sa vie entre parenthèses pendant deux à trois ans, s’illustrer au sein d’un concours d’entrée extrêmement sélectif, faire preuve de compétences sociales supérieures à la normale pour être élu à un poste à responsabilité, pour tuer quelqu’un par excès, non pas d’alcool, mais de stupidité.

C’est un cas réel. C’est un cas dont on entend parler au sein de toutes les associations d’élèves de Grandes Ecoles de France, depuis 2005. DEPUIS HUIT ANS.

Et qu’est-ce qui a changé depuis huit ans ?

Rien.

Les restrictions légales sont devenues plus sévères, certes, mais le cas présent illustre qu’elles n’étaient déjà pas respectées en 2005. Et je vous le dis, je l’ai vu tous les jours pendant trois ans : rien n’a changé.

S’il y a bien une chose que j’ai apprise quand j’étais un associatif très actif à Centrale : c’est que même quand il y a eu mort d’homme, ils n’apprennent rien.

« J’ai travaillé si dur pour en arriver là, je ne vais quand même pas me remettre en question pour un simple homicide. » – La pensée collective centralienne

Absolument rien n’a changé. Ils font toujours les mêmes soirées, les mêmes binge-drinkings et dérapages incrontrôlés.

Certains se réveillent à l’hôpital après avoir perdu toutes leurs affaires, et reçoivent un ticket de métro pour rentrer pieds nus chez eux.

Certaines se réveillent dans le lit d’un type qu’elles trouvent à peine mignon, du rimell plein les joues, capote usée sur leurs chaussures.

Mais le vendredi suivant, c’est rebelotte : concours de celui ou celle qui peut enchaîner le plus grand nombre de shots.

En attendant de devenir l' »élite » de la France.

Si vous saviez à quel point je suis peu fier de faire partie de cette prétendue « élite »…

Mes yeux ont vu, et ils n’oublieront pas.