Une de mes meilleures expériences récentes au cinéma (oui, c’était en 2014, mais on est vieux maintenant) fut The Grand Budapest Hotel (Budapest dans la suite de mon texte) de Wes Anderson. Je l’ai vraiment profondément adoré et ça faisait un bail que je n’avais pas eu l’impression d’avoir autant rentabilisé le prix exorbitant d’une place de ciné.
En fouillant un peu, je m’étais rendu compte à l’époque que le réalisateur, Wes Anderson, était aussi le géniteur de The Royal Tenenbaums, que j’avais vu et beaucoup aimé quelques années plus tôt.
Après avoir acheté et apprécié à nouveau le film en Blu-Ray, je me suis dit « fuck it, je vais mater tous les films de ce mec. »
C’était il y a quelques semaines et c’est désormais chose faite. J’ai vu tous les films de Wes Anderson (huit longs métrages) et je peux vous dire sans sourciller que je les ai tous aimés. Bien sûr, il y en a quelques uns que j’ai simplement aimés (je les ai trouvés bien réalisés, correctement écrits mais pas forcément tanscendants dans ce qu’ils racontent). Mais il y en a d’autres que j’ai proprement adorés, dans lesquels certaines scènes ont franchement résonné chez moi et dont j’ai trouvé la réalisation exemplaire, voire exceptionnelle.
Quiconque a vu n’importe quel film de Wes Anderson (à part le tout premier) est au courant de son style visuel assez fort, très axé sur la géométrie et autant que possible sur la couleur. On en voit l’apothéose dans Budapest, mais il commence à faire son apparition dès le deuxième film d’Anderson, Rushmore. Un autre aspect reconnaissable chez lui est sa narration visuelle qui montre souvent des choses de façon « accélérée », comme s’il évitait à tout prix de s’attarder sur des phases « peu intéressantes » des événements. C’est particulièrement marqué dans la scène de course-poursuite en traineau dans la neige dans Budapest, qui est accélérée d’une manière qui rappellerait presque le cinéma muet, la partie importante étant la fin de la poursuite. Une autre manière qu’a Wes d’en dire le plus possible en un minimum de temps, ce sont ses plans que je qualifierais de « maison de poupée ». Wes Anderson use souvent de ce procédé où le décor défile en deux dimensions comme s’il était compartimenté pour montrer la situation de chaque personnage dans chaque pièce d’un édifice le plus vite possible. C’est assez flagrant dans The Darjeeling Limited (Darjeeling par la suite) où l’on va défiler littéralement à travers les compartiments du train, ou dans The Life Aquatic With Steve Zissou (Aquatic par la suite) où l’on va parcourir une magnifique fresque vivante du bâteau de Zissou vu en coupe longitudinale. Et j’insiste sur « magnifique ».
Ces procédés donnent une rythmicité et une fluidité du récit que j’adore. Les films d’Anderson passent globalement assez vite et on ne s’ennuie que très rarement, parce qu’il va à l’essentiel. Mais il le fait d’une manière non hachée, grâce à ces accélérations ponctuelles. Le point culminant de cette fluidité est sans conteste son film d’animation Fantastic Mister Fox.
Quiconque a vu plus d’un film de Wes Anderson s’est aussi sûrement rendu compte qu’il est assez attaché à la thématique de la fin de l’enfance. Ce n’est pas toujours (même presque jamais) le thème central du film, mais c’est toujours présent. Et ce que j’aime chez Anderson, c’est qu’il a une façon délicate mais pas détournée de traiter ça. Bien sûr, c’est un classique de parler de la perte de l’innocence d’un personnage en lui faisant vivre un épisode traumatique, mais Wes ne fait pas ça comme ça. Du moins, pas toujours comme ça.
Wes Anderson s’y prend de deux manières :
– soit il relate un épisode traumatisant, mais en le mettant en perspective pour illustrer les mécanismes de la vie qui restent inchangés : tu as perdu un parent mais ça ne change rien au fait que tu dois suivre le réglement de ton train ; tu as perdu ta femme mais c’est un détail dans l’histoire d’une Europe dévastée par la guerre
– soit, à l’inverse, il prend le temps d’analyser de près un aspect assez commun de la vie des gens mais qui peut faire très mal sur le moment : le rejet par ses condisciples, l’incompréhension par sa famille, un amour unilatéral pour quelqu’un d’inaccessible.
Il y a une vraie sensibilité, une véritable empathie de Wes pour ses personnages, sans pour autant, dans aucun cas, tomber dans l’apitoiement. C’est ce traitement parfaitement équilibré qui me touche le plus dans ses histoires, et qui donne bien souvent lieu à des dialogues que je trouve exquis. Même dans un court-métrage de 13 minutes.
Ce qui m’amène à l’écriture. Wes Anderson a écrit ou co-écrit tous ses films. Dans de nombreux cas, il les a co-écrits avec des acteurs des films (Owen Wilson, son plus ancien collaborateur, et Jason Schwartzman) ou d’autres cinéastes (comme Roman Coppola). Certains de ses films sont adaptés ou inspirés de livres, mais la plupart sont des original screenplays, ce que je salue bien bas. Et bien sûr, ça transparaît de partout dans ses films. On voit bien qu’on est en face d’un produit créé de toutes pièces, avec une idée en tête dès le départ, comme si le storyboard prenait vie devant nos yeux, ce qui donne lieu à une multitude de plans magnifiques, tant par leur symétrie que leur symbolisme. La filmographie de Wes Anderson est une galerie de tableaux en mouvement.
Mais je pense que ce qui me séduit le plus chez lui, c’est le sentiment de complétude de l’oeuvre que m’inspire le visionnage de ses films. Chez Wes Anderson, il y a de la belle écriture globale, mais aussi du joli dialogue ponctuel, il y a une histoire engageante mais aussi des situations mises en scène minutieusement, il y a des plans superbes, mais ça ne s’affranchit pas de bons acteurs ou de bonnes musiques.
Wes Anderson est ce que le Fossoyeur de Films appelle un « réalisateur à famille », c’est-à-dire un réalisateur qui fait souvent revenir des acteurs habituels (ce qui tourne parfois au ridicule quand on voit Bill Murray apparaître à peine quelques secondes dans Darjeeling ou Budapest), mais il ne les cantonne pas toujours au même rôle. Ce sont Jason Schwartzman et Luke Wilson qui bénéficient le plus de cette diversité de personnages, mais Owen Wilson et Edward Norton ne sont pas non plus en reste. Wes Anderson a d’ailleurs donné à Bill Murray un de ses premiers grands rôles « sérieux » avec l’industriel désabusé que rencontre le héros de Rushmore.
Pour ce qui est de la musique, Wes Anderson a régulièrement recours aux scènes dites « montage-séquence » puisque son style visuel s’y prête à merveille. Il va alors puiser dans des influences souvent pop-rock des années 1960-1970, à l’humeur enjouée, mais il lui arrive également d’incorporer de l’orchestral ou du jazz. Il fait partie de ces réalisateurs pour qui la musique ne se limite pas à l’arrière-plan et a une réelle présence, parfois même avec des paroles correspondant aux situations dépeintes. Mention spéciale à Aquatic, qui incorpore une demi-douzaine de reprises guitare-voix de David Bowie, interprétées à l’écran (et en portugais) par le chanteur brésilien Seu Jorge.
Pour finir, j’aimerais souligner le souci du détail omniprésent chez Anderson, que j’ai trouvé particulièrement fin dans Hôtel Chevalier. Ce court-métrage avec Natalie Portman et Jason Schwartzman sert de prologue à Darjeeling. Quand Portman s’installe dans la chambre d’hôtel où se passe le film, elle examine toutes les affaires de Schwartzman, dont trois boîtes à musiques accrochées à une tablette. Elle en actionne une, qui joue la mélodie de la chanson « Aux Champs-Elysées » de Joe Dassin, qui est la musique du générique de fin de Darjeeling. Moi, ce genre de trucs, ça me prend par les sentiments (alors que je déteste Joe Dassin).
Les 4 films que j’ai vraiment adorés de lui :
– Rushmore
– The Darjeeling Limited (+ Hôtel Chevalier)
– Moonrise Kingdom
– The Grand Budapest Hotel