Merci Patron, ou la discutable omniprésence des bosses dans les jeux vidéo

Cocoon est un jeu indépendant, essentiellement d’énigmes, extrêmement bien conçu et équilibré, avec une direction artistique impeccable. Hormis les directions de mouvement, le jeu n’a qu’un seul bouton d’entrée, d’interactions « context-sensitive » avec l’environnement qui sont à la base de la résolution de toutes ces énigmes. La nature muette et immersive de ce jeu en fait un de ces jeux dont vous entendrez et lirez souvent qu’il faut y jouer, sans qu’on vous en dise trop sur ce qu’il y a dedans. Ce sera le cas ici : Cocoon est une magnifique pépite que je recommande à toute personne un tant soit peu amatrice de jeux d’énigmes, en s’y lançant à l’aveugle si possible.


Mais il y a quand même un aspect du jeu dont j’ai envie de parler : je trouve la décision d’y insérer des combats de boss insensée et détrimentaire pour ce jeu. Et Cocoon est très loin d’être le premier jeu qui me donne ce sentiment.

Pourquoi y a-t-il toujours autant de bosses dans les jeux vidéo ?

Intro : c’est pas mes oignons.

J’ai une confession à faire : je déteste les oignons. Je vous vois lever un sourcil circonspect en vous demandant quel sorte de monstre je suis et quel rapport ceci a avec la choucroute, mais j’y viens. Quand on n’aime pas les oignons et on vit en France, il y a deux phrases qu’on entend des milliers de fois dans sa vie, en réponse à cette annonce :

T’inquiète, on les sent pas

et

Mais ça donne du goût !

Oui, les oignons, ça donne du goût : celui des oignons. Et ce qui se passe, quand on n’aime pas les oignons, c’est que si, on les sent. On les sent même beaucoup. Ca a un goût assez remarquable, les oignons. C’est pour ça que les gens qui les aiment en mettent dans tout, du riz nature à la – passez-moi les guillemets – « carbonara ». Et les gens qui ne les aiment pas vont bien plus facilement remarquer quand ils dénotent avec le reste du plat.

1. Pourquoi les bosses ?

Eh bien, j’ai une seconde confession (après, j’arrête) : je n’aime pas les combats de boss. En général, dans les jeux vidéo, je les vis comme un moment de creux, voire de stress au coeur d’un medium censé m’amuser. Je reconnais aisément la raison de leur existence, pour créer des moments à enjeux augmentés, pour pousser le joueur ou la joueuse à prouver qu’il ou elle maîtrise les éléments de gameplay qui lui ont été présentés jusqu’ici. Pour aussi créer un barrage poussant plus de gosses à remettre une pièce dans la machine d’arcade, soyons honnêtes.

Je comprends l’intérêt de créer des goulets d’étranglement pour se sortir desquels nous devons faire preuve d’une bonne utilisation des techniques à notre disposition, ne serait-ce que pour s’assurer qu’on est à même de relever les défis suivants, ou bien pour s’octroyer les plus belles récompenses que le jeu a à offrir – comme le générique de fin. Ce que je comprends nettement moins, c’est le relatif automatisme avec lequel, de nos jours, les game designers jugent adapté de donner à ces moments plus intenses la forme d’un combat, dans une arène verrouillée, contre un gros opposant.

Dans un jeu où le combat a une place centrale, le recours à des confrontations face à des monstres plus forts que la moyenne est totalement logique, bien entendu. C’est d’ailleurs pour cela qu’on les appelle des bosses. Un boss, c’est un patron. C’est le chef des ennemis normaux qui peuplent le dungeon dans lequel on se promène depuis un moment. D’ailleurs, saviez-vous que dungeon veut dire « cachot » et qu’on se trimballe une erreur de traduction depuis plus de quarante ans quand on parle de ces lieux ? Dans un jeu, donc, où la principale activité est de se battre contre des pas-beaux, il est tout à fait sensé de devoir, de temps en temps, se battre contre un vilain-vraiment-pas-beau. Encore que je ne comprenne pas tout à fait pourquoi on doit être enfermé avec lui pour ce faire, mais c’est peut-être une histoire de chargement dans les années 80 qui serait elle aussi devenue tradition par simple manque de remise en question.

2. Comment les bosses ?

Le meilleur exemple de types de jeux actuels dans lesquels il me semble intuitif que des combats de boss existent et revêtent même une grande importance, ce sont les soulsborne. Sans doute une des nombreuses raisons pour lesquelles j’abhorre ces jeux.

Mais il y a d’autres exemples de bonne et d’excellente inclusion de bosses dans des jeux, je ne suis pas aussi anti-boss que Pascal Praud est anti-woke.

Comme dit plus haut, essentiellement, lorsque la confrontation avec des créatures a la part-belle du gameplay, combattre des versions plus puissantes, plus agressives ou bien plus résistantes de ces créatures est une progression logique. Il arrive même qu’un boss ou demi-boss rencontré tôt dans un jeu soit revu plus tard comme un monstre commun, aidant le joueur ou la joueuse à se rendre compte des progrès réalisés depuis.

C’est le cas, par exemple, de Final Fantasy VIII, où l’on se bat très tôt dans le jeu contre Elvoret (déformation du français « aile violette », raison pour laquelle il s’appelle… Sulfura dans la version francophone du jeu), pour rencontrer, 2 CD plus tard, des Elnoyle (« aile noire », donc… Sulfor) par dizaines pour farmer des balles Pulsar.

Elvoret à gauche, Elnoyle à droite

Dans Xenoblade, Xord est, de bien des manières, le premier « grand » boss du jeu, marquant au fer blanc l’implication de Sharla dans l’histoire et illustrant terriblement le dessein génocidaire des Mechon. La victoire contre lui cimente la fondation de l’équipe des protagonistes et pourtant, des dizaines d’heures plus tard, on rencontre, en combat normal, des unités masquées parfaitement à son image, qu’il est même possible de combattre 3 par 3. Lors des combats contre Xord, l’équipe est par ailleurs obligée de combiner deux systèmes du jeu (les chain attacks et les combos) pour espérer lui infliger le moindre dégât, ce qui n’est absolument plus requis lors de la rencontre de ses répliques.

« I ate them all up! »

Le chef d’oeuvre de Supergiant Hades, qui a consumé mon existence pendant presque un an, se divise en quatre biomes, chacun arborant son combat de boss iconique, ainsi que plusieurs demi-bosses. Presque tous sont conçus comme une version augmentée d’un ennemi croisé auparavant dans le jeu, voire une combinaison de plusieurs. C’est pourquoi chacun d’entre eux donne une réelle impression d’être la culmination de tout un pan des nombreux combats que constitue ce jeu. Je ne montrerai pas d’image car la découverte fait partie du plaisir dans ce rogue-lite.

Enfin, je suis obligé de mentionner le boss final de Splatoon, DJ Octavio, qui reste pour moi le plus glorieux de tous les combats de bosses qu’il m’ait été donné de livrer. Le gameplay de Splatoon a le bon goût d’allier combat de tir (visée, couverture, projectiles) et platforming, à dosages peut-être pas parfaitement égaux, mais quand même suffisamment significatif pour chaque qu’il est impossible de faire l’impasse sur l’autre. Ce jeu étant, de plus, le premier de sa série, il était obligatoire que son mode d’aventure solo fournisse une bonne introduction, partant de zéro, à ce mélange de genres par ailleurs assez savamment exécuté. Le fait que ce combat surréaliste contre un DJ céphalopode tournant ses disques avec des branches de wasabi présente une synthèse aussi exigeante que légitime de tout ce mélange n’est rien de moins qu’un triomphe.

Je vais te mixer à mort.

Malgré mon aversion pour le pic de stress que représentent bien souvent les combats de bosses, je pense avoir démontré ici que j’en vois les mérites, persistant dans une certaine mesure bien loin de l’ère des bornes d’arcade.

Quand il est conçu autour de plusieurs saveurs qui s’équilibrent, se neutralisent ou même se subliment, un plat peut tout à fait contenir des oignons et rester délicieux pour quelqu’un qui ne les aime pas. Il faudrait être sacrément difficile pour cracher sur un bon risotto aux oignons et aux champignons et il est tout simplement erroné de préparer une tartiflette sans faire revenir des oignons avec la poitrine. Mais rien n’excusera jamais de défigurer une pizza avec ce bulbe diabolique.

3. Vraiment, les bosses ?

Ce que l’industrie du jeu vidéo semble avoir ignoré au fil des décennies, c’est qu’avec l’incroyable enrichissement en genres du medium, le réflexe du boss n’est plus aussi légitime ou pertinent que dans les années 1980. Il y a plusieurs cas de jeux, voire de séries, dans lesquels la présence de combats de bosses n’est pas si sensée que ça, en y réfléchissant.

Pour ne pas taper dans les coins, je voudrais me pencher sur la série Super Mario.

Vous savez, ce jeu-là.

Super Mario Bros. est un jeu dit de plateformes, c’est-à-dire un jeu où chaque niveau est essentiellement une course d’obstacles. Dans cette mesure, les « monstres » sont en réalité des obstacles mobiles, dont l’agressivité ne change pas vraiment selon le comportement ou la position de Mario. C’est également le cas pour les bosses de fin de monde, tous des variations du même Bowser, qui n’est lui-même encore une fois qu’un obstacle bonifié : il tire des flammes que l’on doit éviter et il faut sauter au-dessus de lui pour le faire tomber dans la lave, de ce fait sans jamais lui porter le mondre coup – à moins, bien sûr, de choisir de lui tirer un nombre exagéré de boules de feu si l’on a ce pouvoir en le rencontrant.

On reste sur de la plateforme.

Je dirais que les bosses de Super Mario Bros., bien que répondant totalement à l’injonction de placer des combats à huis clos en fin de chapitre de jeu, ne s’écartaient pas tant que ça du coeur du gameplay du jeu : contourner des obstacles. Cela restera le cas dans Super Mario Bros. 3, Super Mario World et l’essentiel de la série en 2D, à ceci près qu’on se met à faire des dégâts aux monstres en leur sautant dessus après avoir évité leurs attaques. C’est par la suite que les choses se sont compliquées, notamment avec ce qui reste paradoxalement un des jeux les plus importants de ma culture vidéoludique, Super Mario 64.

Dans ce miraculeux passage à la 3D, dont on ne présente plus les myriades de qualités, certaines des étoiles sont obtenues en vainquant des bosses, autrement qu’en leur sautant simplement dessus. Cela dit, beaucoup de combats se font, comme je le décrivais plus haut, comme des versions plus coriaces de confrontations rencontrées plus tôt : par exemple, le Roi Bob-Omb se combat de la même manière que n’importe quel Bob-Omb, y compris dans les jeux 2D. Le grand Whomp se combat exclusivement en utilisant des mouvements (dont la toute nouvelle Attaque Rodéo pour infliger des dégâts). Koopa Rapido et le pingouin se « combattent » littéralement en faisant une course d’obstacles. Jusqu’ici, rien que des bosses combattus au moyen des éléments de gameplay normaux du reste du jeu.

Oui mais Mélenchon est d’Extrême Gauche

Mais après, il y a les autres, j’ai nommé Eyerok et, bien sûr, Bowser. Eyerok est le boss du seul niveau désertique du jeu, au sein duquel une des missions consiste à se tenir au sommet des quatre obélisques entourant une pyramide, ouvrant le haut de cette dernière. Une fois entré dans cette ouverture, Mario se retrouve coincé sur une unique plateforme sur laquelle trône un sarcophage. Les marches menant vers le sarcophage s’animent et prennent la forme de deux mains ornées d’yeux dans leurs paumes. Le combat contre lui consiste à éviter des attaques puis donner des coups de poing aux globes oculaires. Trois fois chacun, puis c’est terminé. Il s’agit d’un combat de boss exigeant de réaliser des actions n’ayant aucun rapport avec ce que l’on doit faire dans le reste du jeu. Certains apprécieront la variété que cela apporte ; pour ma part, je trouve cela bien trop anecdotique pour être vu comme autre chose que de la pollution.

Qu’est-ce qui est jaune et qui n’a rien à voir avec un jeu de plateforme?

Pareillement, les 3 combats contre Bowser qui ponctuent la progression dans le Chateau de Peach (au rez-de-chaussée, au sous-sol et enfin au sommet) introduisent une mécanique qui n’est présente que pendant ces combats. Elle consiste à l’attraper par la queue, le montrer à ces messieurs, le faire tourner autour de Mario puis le lâcher en espérant qu’il finira sa course dans une des bombes qui se trouvent aux sommets de l’arène polygonale. Ces confrontations ont beau être devenues iconiques dans l’histoire du jeu vidéo, elles restent d’une conception assez incohérente vis-à-vis du reste du jeu : elles ne mesurent en aucun cas les progrès que l’on a pu faire dans le reste de l’aventure, et surtout elles reposent sur un test de visée au lancer de marteau, ce pourquoi un jeu de plateforme tridimensionnel en vue à la troisième personne n’est vraiment pas adapté. Pour cette raison, la plupart d’entre nous a eu recours à la pire méthode d’amélioration qui existe dans les jeux vidéo pour y parvenir : le trial and error.

« On peut discuter, peut-être ? »

L’opus suivant, Super Mario Sunshine souffre énormément de ce phénomène des combats de bosses ne reflétant que peu ou prou le reste du gameplay, à l’image de la seiche dont on doit tirer les bras, de Petey Piranha qui nous demande, dans le tout premier niveau du jeu, d’utiliser J.E.T. comme une arme de tir alors qu’il ne servira, dans 95% des cas, que comme un tuyau d’arrosage ou encore le boss de la baie Noki, pour lequel on utilise un mode de déplacement fourni par J.E.T. comme un précurseur de Power Wash Simulator. Le combat final a le mérite de nous demander d’utiliser les options de mouvement de J.E.T. de manière normale, mais au prix d’un contexte totalement absurde : on détruit la baignoire de Bowser qui prend son bain (cf. plus haut).

Ce qui m’amène, donc, depuis quelques décennies, à me demander : mais est-il vraiment nécessaire de passer par la figure imposée du boss dans tous les jeux, quel que soit leur genre ?

La réponse est, bien évidemment, non : nombre de jeux l’ont prouvé, déjà à l’avènement de ce pan de notre culture. Pour n’en citer qu’un de cette époque, Tetris est un jeu qui a parfaitement compris ce qu’il est et, surtout, ce qu’il n’est pas. Il n’y a pas de boss, il n’y a que des mécanismes. Et je ne parle pas des kyrielles de variations qui ajoutaient des combats contre l’ordinateur, qui sont toutes, sans aucune exception, largement inférieures à la pure expression originelle du concept, notamment pour cette raison. L’ennemi dans Tetris, c’est soi-même.

Mais pour revenir aux jeux de plateforme, la solution est évidente : puisqu’il s’agit de courses d’obstacles, l’objectif ultime devrait tout simplement être une destination. Par exemple, faire que l’enjeu du jeu soit de gravir une immense montagne. Oh wait! C’est exactement le principe de Celeste.

Mass Effect 3 a reçu une quantité… astronomique (ahem) de moqueries pour le fait que le dernier ennemi que l’on combat dans la trilogie est un simple Maraudeur. Dans une situation épique/10 et au ralenti, mais un simple Maraudeur quand même… Et pourtant, moi, j’ai trouvé cela totalement logique. De bien des manières, le message sous-jacent du jeu est d’essayer de comprendre comment dépasser l’aspect mortifère de la sélection naturelle, du vivant qui tue ou dompte le vivant pour survivre. N’aurait-il pas été totalement antithétique de faire culminer cette histoire par un gigantesque combat ? La force de cette série était de placer une grande importance dans les nombreux choix que l’on fait au cours de celle-ci, donc il est totalement naturel de la conclure sur un choix et rien d’autre.

Et puis, même dans beaucoup de jeux où le combat occupe un rôle prépondérant, il y a un aspect inhérent aux événements de boss consistant à vouloir, en quelque sorte, changer la donne, ce qui n’est en fait pas très juste par essence. Un exemple caricatural se trouve dans Paper Mario and the Origami King. Un jeu avec une histoire, une atmosphère et une présentation absolument irréprochables souffrant d’un système de combat se voulant innovant mais qui finit surtout par gonfler. Dans ce système, les ennemis sont placés autour de Mario, sur des cercles concentriques qu’on est amené à repositionner pour créer des alignements pour optimiser les dégâts. Ce n’est déjà pas glorieux dans l’exécution, mais c’est encore pire lors des combats de bosses : cette fois, c’est le boss qui se trouve au centre et Mario qui doit parcourir une trajectoire sur les cercles concentriques pour l’atteindre. Non seulement, ce type de combat « inversé » ne se retrouve que contre la poignée de bosses rencontrés dans le jeu, mais encore, chaque boss a son propre gimmick qui, une fois appris, ne servira plus jamais. On démarre donc chaque combat de boss avec la sensation de revenir au niveau 1, sans tirer le moindre profit de sa progression extrinsèque.

Et on fait tourner les… cercles.

Plus j’y pense et moins ceci n’a de sens.

Conclusion : au revoir, au revoir, président !

Je sais très bien que mon aversion pour les bosses dans les jeux n’a rien d’une position populaire, de même que ma détestation des oignons. Mais aussi vrai qu’on est plus sensible aux oignons quand on ne les aime pas, je pense que mon désamour pour les bosses me permet de mieux sentir (ou encore plus subir) leur surabondance que la plupart des acteurs de l’industrie, d’un côté ou de l’autre du ticket de caisse.

Plusieurs critiques du tout récent Super Mario Bros. Wonder reprochent au jeu de contenir trop peu de combats de bosses. Les fans de bosses trouvent qu’on ne les sent pas assez, que le jeu manque un peu de goût. Pour ma part, je trouve que c’est un grand pas dans la bonne direction et j’espère un jour jouer à un Mario dans lequel le but du jeu sera, eh bien, d’atteindre un but. Pour les combats de boss, chez Nintendo, il y a Zelda.

C’est autre chose que de sauter sur la tête d’un Boom-Boom.

Les énigmes de Cocoon sont environnementales et consistent à interagir avec des objets, mobiles ou fixes. A quelques rares exceptions près, on a tout le temps que l’on souhaite pour réfléchir à comment progresser, sans la moindre menace. Les exceptions ne sont d’ailleurs que des mécanismes sur timer ou avec un rythme à suivre. Enfin, la vue du jeu est une vue en plongée, à angle fixe plus ou moins isométrique. Dans ces conditions, tout défi de visée ne peut qu’être au mieux maladroit. Ajouter à cela une situation d’enfermement et les seuls risques de fail state (qui d’ailleurs ne punit pas tant que ça) ne fait que créer une pression totalement absente du reste du jeu. Pour finir, les récompenses des bosses de Cocoon sont, pour ainsi dire, inexistantes : à part le droit de continuer à avancer dans un jeu totalement linéaire, ces victoires n’apportent rien. La seule nouvelle possibilité qu’une victoire contre un boss apporte, c’est celle de continuer sa route. On ne bat le boss que dans le but de supprimer l’obstacle arbitraire qu’il constitue. C’est simplement inutile.

Je me suis trimballé des mondes sur le dos et je dois combattre des cafards en plus ?

Combien de jeux seraient encore meilleurs s’ils n’avaient pas de bosses ?

Pokémon Legends: Arceus – Un bon prototype.

  • Testé sur Switch (exclusif)
  • Spoilers : Avec (post-game inclus)
  • Copie du jeu achetée

Je fais partie de ces nombreux joueurs ayant eu assez de la formule Pokémon il y a déjà plusieurs années. Dans ma mémoire, la franchise de Game Freak a atteint son pinacle avec les remakes de la deuxième génération, Pokémon Soul Silver et Heart Gold. A l’époque, je passais des centaines d’heures à pratiquer l’eugénisme sur des espèces de Pokémon, sélectionnant des mâles et femelles munis des bonnes natures, IV et capacités dans le seul but de générer, avec un peu de chance, LE nouvel élu pouvant intégrer mon équipe pour partir en duel contre mes potes. Cette époque où j’étais aussi investi dans la série qu’on peut l’être, c’était il y a 12 ans. Par la suite, j’ai été graduellement déçu par une franchise et un studio qui, bien qu’en jouant autant la sécurité qu’il est possible de le faire, trouvait le moyen de rendre chaque génération moins bonne que la précédente en retirant des idées pourtant bonnes implémentées auparavant (Galerie Concorde, petit ange parti trop tôt). Tout n’était pas noir et bien que j’aie réellement apprécié jouer l’aventure de Pokémon X jusqu’au bout du post-game, il ne s’agissait déjà presque plus pour moi de constituer une équipe de rêve ou même d’importer mes Pokémon depuis la génération précédente. Pokémon Lune a fini de me dégoûter de la formule classique de Game Freak qui, en plus d’être intolérablement croupie, avait l’audace de ne même plus essayer d’écrire quoi que ce soit de viable dans ses dialogues ou son histoire. Après une petite dizaine d’heures à Alola, je repliai ma 3DS et décrétai que Pokémon, ce n’est plus pour moi.

En testant sur des bornes d’essai les épisodes Switch (Let’s Go! Pikachu et Evoli ainsi que Epée et Bouclier), j’ai perçu une certaine volonté de fluidifier quelque peu le gameplay de la série, mais pas au point de m’y replonger. Les trailers de Pokémon Legends: Arceus, ont réussi à m’y redonner goût et bien que le bilan reste mitigé, j’ai le plaisir de constater que Pokémon n’est plus gelé !

1. Histoire – Un jour je serai le meilleur chercheur…

Première dans l’histoire de la série, Pokémon Legends: Arceus (PLA dans la suite de l’article) est ce qu’on appelle une préquelle, à savoir une histoire sortant plus tard qu’une autre mais se déroulant avant cette dernière. Placée environ un siècle avant Pokémon Diamant, Perle et Platine, l’histoire de PLA se passe à Hisui, une région dont on comprend immédiatement qu’elle est Sinnoh avant que la contrée du Mont Couronné s’appelle ainsi.

Notre protagoniste, après une séquence onirique mystérieuse, se retrouve à Hisui, venant vraisemblablement du futur, et rejoint illico la branche de recherche d’une organisation multicéphale (le Groupe Galaxie) ayant élu domicile dans un petit village en cours de construction (Rusti-cité). Guidé par le personnage le plus mal designé de l’histoire du jeu vidéo et accompagné du rival le plus oubliable qui existe, notre protagoniste part à la découverte du monde aussi fascinant et terrifiant qu’est celui des Pokémon, créatures avec lesquelles les humains de Hisui ne vivent absolument pas encore dans l’osmose à laquelle la série nous a habitués.

La mission du Corps de Recherche du Groupe Galaxie saura piquer l’intérêt des joueurs vétérans de la série : compiler le premier Pokédex de la région. C’est-à-dire capturer au moins un spécimen de chaque espèce de Pokémon vivant dans Hisui, et observer un certain nombre de comportements propres à l’espèce pour « compléter » sa fiche du fameux index.

Bien entendu, comme il FAUT qu’un jeu Pokémon ait une histoire (nous y reviendrons), cela n’est pas si simple, et comme notre personnage a eu le toupet d’aller dehors, il se retrouve rapidement confronté à d’étranges événements. Des Pokémon agissant habituellement comme monarques paisibles des divers environnements de la région sont pris de colère, ce qui perturbe tout l’écosystème (nous y reviendrons également) et semble lié à la faille spatio-temporelle par laquelle nous-même sommes arrivé. L’aventure du jeu consistera donc à apaiser ces monarques un à un, en rencontrant des personnages tous plus inutiles les uns que les autres, certains issus d’un clan Diamant vénérant le temps comme divinité suprême, d’autres de son clan opposé Perle vénérant l’espace comme divinité suprême. A un certain stade de l’histoire, la xénophobie totalement décomplexée du chef du Groupe Galaxie Eric Zem Cormier (littéralement « tu viens d’ailleurs, c’est forcément de ta faute ») nous bannit du village, mais nous recevons de l’aide des clans Diamant et Perle pour nous confronter à la créature qui se cache dans la fameuse faille. Choisir lequel de ces deux clans vous accompagnera pour la fin de l’histoire vous mènera à combattre l’un des deux « Grand Sinnoh » (Dialga ou Palkia), puis à capturer l’autre, ce qui ne change rien au bout du compte. C’est à ce stade que l’on atteint le générique de fin du jeu, après exactement zéro mention du nom Arceus où que ce soit dans l’histoire.

Sans grande surprise, donc, le jeu a un post-game au cours duquel il sera question d’une palanquée d’autres Pokémon légendaires, issus de plusieurs générations de la série principale. Le tout dernier objectif du jeu est de capturer toutes les espèces de Pokémon présentes à Hisui avant de rencontrer et, avec un peu de patience, capturer Arceus.

2. Gameplay – Gotta catch ’em all???

Eh oui, après toutes ces années, PLA est enfin un jeu de la série Pokémon dont l’objectif général est bel et bien : attrapez les tous ! Bien que l’objectif ait toujours été implicite dans la série, j’ai été surpris d’être aussi content de me voir enfin donner cet objectif explicitement dans un jeu de la série. Par-dessus le marché, c’est possible sans avoir à acheter une autre version du jeu ! Deux Pokémon légendaires ne sont accessibles qu’en ayant des sauvegardes d’autres jeux sur sa Switch, mais ils sont optionnels pour considérer un Pokédex complet.

L’essentiel du gameplay repose donc sur la capture de nombreux spécimens de Pokémon au sein des 5 contrées de type bac à sable que le jeu propose et dans cet objectif, Game Freak s’est enfin sorti les doi donné pour mission de rendre plus dynamique tout l’exercice de l’exploration, de l’approche, de la capture et parfois des combats contre des Pokémon sauvages. Il sera difficile pour tout néophyte de comprendre à quel point cette dynamisation est une bouffée d’air frais pour les habitués, parce qu’il est franchement difficile de comprendre comment on a pu accepter pendant aussi longtemps une telle rigidité dans des tâches qui sont pourtant au coeur de l’expérience Pokémon ; mais le fait est bien là devant nos yeux, bon nombre d’aspects jusqu’ici absurdement chronophages de l’expérience de jeu ont été considérablement accélérés, rendus instantanés voire totalement contournés, pour le plus grand plaisir du joueur.

Histoire de donner quelques exemples :

  • Alors que certaines capacités pouvant être apprises par des Pokémon se trouvaient auparavant dans les jeux sous formes d’objets rares (et hyper précieux pour les joueurs) – les fameuses CT et CS – ici, toutes les CT sont regroupées dans un seul personnage présent à Rusti-cité, qui peut enseigner ces capacités contre de l’argent aux Pokémon concernés.
  • Par extension, alors que pour modifier la liste de quatre capacités utilisables par un Pokémon était auparavant une tâche pénible consistant d’abord à lui en faire oublier une auprès d’un certain PNJ, puis lui faire se souvenir de l’autre précédemment apprise, ici cette action peut se faire tout simplement depuis le menu du jeu. On note par ailleurs que cette simplification a dû être opérée sur le tard par Game Freak car elle résulte toujours en une boîte de dialogue totalement superflue indiquant que le Pokémon oublie puis apprend des capacités.
  • Le ramassage d’objets n’interrompt plus du tout le gameplay. Cette phrase est extrêmement lourde de sens pour quiconque se souvient de l’arrêt total du jeu par une boîte de dialogue expliquant au joueur qu’il vient de ramasser sa 137ème Baie Oran. Ici, si l’on ramasse un objet en courant, on continue de courir et une petite icône apparaît dans un coin de l’écran pour dire quel objet a été ramassé, et en quelle quantité.
  • Dernier exemple qui est en lui-même une révolution absolue pour la série Pokémon (et ne devrait pas en être une, soyons honnêtes) : il n’est plus nécessaire d’entamer un combat avec un Pokémon sauvage pour le capturer. Jusqu’ici, même pour capturer un Pokémon très faible – donc facile à capturer même sans l’affaiblir – il fallait entamer un combat, choisir d’utiliser un objet, choisir dans le menu des objets une Pokéball, puis choisir de l’utiliser. Dans PLA, à moins de s’être fait repérer par un Pokémon agressif, la tentative de capture se joue ainsi : j’ai vu le Pokémon, je m’approche discrètement jusqu’à être à portée de lancer de Pokéball, je lance la Pokéball. Comme je le disais, une révolution.

Toutes ces fluidifications ont fait de PLA le premier jeu de la franchise au sein duquel j’ai éprouvé du plaisir de jeu dans les tâches les plus banales, depuis une décennie. Soulignons à nouveau à quel point Game Freak semble mettre un point d’honneur à interrompre le moins possible le gameplay : si l’on est en présence de plusieurs Pokémon sauvages au même endroit comme c’est le cas sur les captures ci-avant, il n’est pas obligatoire d’attendre de voir si la capture d’un Pokémon A est un succès avant de tenter la capture du Pokémon B. Tant qu’on a des Pokéballs à lancer, on peut jouer au bombardier et tenter les captures d’une poignée de spécimens simultanément. Cette liberté est agréable en elle-même et a fortiori remarquable venant d’un développeur qui respectait si peu le temps de ses joueurs que Game Freak.

3. Les Combats – Changer une équipe qui gagne.

Sans doute dans un désir, ici aussi, de simplifier la donne, Game Freak a opéré quelques changements dans le système de combat qui ne sont pas tous aboutis. La première intention parfaitement claire est de ne plus exiger du joueur qu’il soit lui-même un expert de Pokémon pour pouvoir gérer un combat correctement. Au fil des années, les systèmes de la série ayant une influence sur les combats se sont beaucoup complexifiés et très peu d’informations étaient disponibles en temps réel à l’écran. La série comporte actuellement 18 types de Pokémon dont chaque Pokémon peut en avoir un ou deux. Chaque type a son propre jeu de sensibilités vis-à-vis de tous, ce qui peut se combiner chez un Pokémon en présentant 2. De ce fait, il était tout à fait possible, auparavant, si l’on ignorait la combinaison de types du Pokémon opposé, de choisir d’utiliser une capacité pas ou peu efficace contre lui. Dans PLA, un marqueur situé à côté de la capacité illustre si celle-ci est inefficace (croix), peu efficace (triangle), normalement efficace (point) ou très efficace (cercle et point) sur l’adversaire.

Une inclusion tout à fait bienvenue

Si l’ajout de ces infos – et la possibilité d’afficher les caractéristiques détaillées de chaque capacité sur un simple appui du bouton X – est le bienvenu, d’autres « simplifications » semblent avoir été apportées à la va-vite, au prix cette fois-ci d’une part d’instinctivité que je regrette dans ce jeu. Par exemple, une statistique invisible des capacités dans Pokémon est leur ordre de priorité. Certaines capacités sont moins puissantes que d’autres, mais ont le bénéfice d’avoir toujours lieu avant ces autres, peu importe la vitesse du lanceur. Il existe, de cette façon, plusieurs ordres de priorité pour toutes les actions d’un combat Pokémon. Mais Game Freak a opté, plutôt que d’afficher clairement la notion de priorité (par exemple avec un chiffre à côté du symbole d’efficacité), de s’éloigner du système en tour par tour traditionnel et de lui préférer un système à ordre d’action, similaire à celui de Final Fantasy X. L’intérêt ici aussi évident est de donner au joueur la possibilité d’afficher l’ordre des actions à venir. Le problème est que l’adversaire peut autant que le joueur perturber cet ordre de tours (en jouant sur la priorité de ses capacités), rendant cette visibilité assez peu stratégique en réalité. D’autant plus que l’effet de certaines actions hors-capacités sur cet ordre n’est jamais indiqué (utiliser un objet, changer de combattant, etc.).

En plus de la suppression pure et simple de deux autres systèmes désormais très anciens de la série (le Talent de chaque Pokémon et l’objet que celui-ci peut porter), vraisemblablement parce qu’encore une fois, il semble compliqué – mais pas impossible – à rendre explicitement lisible au joueur, je regrette particulièrement la disparition d’autres capacités pourtant notoires (par exemple, Séisme), ainsi que la simplification trop brutale d’autres systèmes de contrepartie. Pour être plus puissantes qu’une capacité « conventionnelle », certaines capacités Pokémon ont des contreparties telles qu’une priorité basse, des dégâts de recul ou encore une obsession (le Pokémon reste bloqué sur cette capacité pour plusieurs tours). Les dégâts de recul sont toujours là, mais la priorité basse s’est changée en une probabilité de perdre un rang sur les prochains ordres d’action et l’obsession n’existe juste pas dans PLA. Elle est vulgairement remplacée par une baisse de précision, ce qui fait d’ailleurs que je n’ai jamais vu autant d’attaques à précision basse que dans ce jeu. Ce qui est étrange, c’est que le jeu affiche toujours un message annonçant que « le Pokémon est obsédé par » la capacité, mais cela n’a absolument aucun effet dans le choix des capacités successives.

Enfin, un des pires écueils de ce système de combat remodelé est l’existence de combats à plusieurs adversaires. En soi, ce système existait déjà et n’était pas dénué d’intérêt car il a permis à la série d’introduire une notion de champ d’effet pour toutes les capacités. Le problème dans PLA, c’est que les combats à plusieurs adversaires (nombre maximal inconnu mais j’ai déjà combattu 5 Pokémon sauvages en même temps) sont bien là, mais qu’aucune notion de champ d’effet des capacités n’a été implémentée : on prend donc les attaques de 5 Pokémon adverses à la suite, en ne pouvant en atteindre qu’un seul en retour. Ce système, clairement pas implémenté jusqu’au bout, est un des nombreux symptômes de l’aspect prototypique de PLA annoncé en titre de ma critique.

En somme, je pense que la simplification du système de combat était nécessaire dans l’optique de renouveler l’intérêt pour la série de ceux qui l’avaient quittée ou ne s’en étaient jamais approchés, peut-être apeurés par un univers stratégique éminemment complexe. Cependant, ceci a été fait un peu trop rapidement et mériterait une bonne dose de réglages.

4. L’Exploration – Paras is the new Nosferapti.

PLA étant un jeu d’envergure sorti sur Nintendo Switch en l’an V du calendrier breathofthewildien, il n’est pas surprenant et même quasiment attendu qu’un effort significatif ait été apporté à l’expérience d’exploration de son monde. En ce sens, il est incontournable de saluer la transition considérable vers un monde ouvert tridimensionnel que représente ce jeu pour la série. Ebauchée auparavant dans une zone spécifique des opus Epée et Bouclier, l’idée d’un monde ouvert avec du relief à arpenter, des objets à ramasser pour un système de craft et bien entendu des Pokémon sauvages à observer, capturer, combattre ou fuir fait une irruption remarquable dans PLA. Me promener, escalader, nager dans cette version 3D du Parc Safari d’antan relève, si je puis dire, du rêve de gamin réalisé 25 ans plus tard sous mes yeux ébahis.

A moi les Capumain lvl 5 !

A la différence de l’épisode de Zelda qui a tout changé, toutefois, Game Freak n’a pas reçu (sans doute pas demandé…) l’aide précieuse du studio pointure dans ce domaine, les architectes de la série Xenoblade Monolith Soft. L’absence d’une telle expertise se ressent très rapidement si l’on compare l’exploration de PLA à celle de Breath Of The Wild, et plus encore si on la compare au magistral Xenoblade Chronicles X de Monolith Soft. On ne s’improvise pas alchimiste des mondes ouverts et l’entêtement de Game Freak à tout réaliser en interne a des conséquences négatives sur une expérience de jeu au demeurant agréable, mais qui compte son lot d’agacement facilement évitable.

Premier caillou dans la chaussure, mais pas des moindres, il n’existe aucune interconnexion entre les 5 environnements principaux du jeu. Pour se déplacer de l’un d’eux à un autre, il est obligatoire de repasser par Rusti-cité, trajet pour lequel il est obligatoire, au préalable, de faire son rapport de recherche au Professeur Lavande. Au prime abord, le problème n’est pas si gênant, car en début d’aventure, on a toujours quelque chose à y faire avant de repartir et faire son rapport au Professeur est ce qui rapporte de l’argent. Au bout de 50 heures, ce n’est plus la même histoire et cela devient un véritable frein au plaisir d’exploration. Par exemple, les Zarbi sont présents dans PLA et le jeu fournit une liste d’indices sur leurs localisations. Si le joueur, lisant la liste d’indice, finit par avoir l’éclair de lucidité lui permettant de placer le lieu décrit dans une autre zone de jeu, eh bien il vaut mieux qu’il prenne note de vérifier ce lieu la prochaine fois qu’il y sera, plutôt que d’y aller à l’instant T, ce qui l’exposerait à tout le rituel désormais inutile de faire son rapport, charger Rusti-cité, puis repartir et charger la zone de destination. Ce genre de perte de temps est à proscrire dans tout jeu visant à pousser le joueur à aller à droite à gauche selon son bon vouloir.

J’ai déjà dit mais je me permets de répéter que Game Freak a très bien réussi le pari de donner au joueur l’impression d’évoluer dans des terres sauvages où vivent, paissent et dorment des Pokémon sauvages. A la manière de la série susmentionnée Xenoblade, les Pokémon (et donc les interactions possibles avec eux) ne sont plus relégués au rang de probabilités de rencontres aléatoires interrompant l’exploration, mais bien de créatures parsemées sur notre chemin avec lesquels il est plus ou moins possible de décider si l’on veut interagir. Ce changement est une nette amélioration aussi bien en termes d’immersion que, tout simplement, de plaisir de jeu, le joueur ayant un bien plus grand contrôle sur le rythme qu’il donne à sa promenade à Hisui. Cependant, l’exercice n’est pas encore parfait et quelques détails demeurent inutilement frustrants. Parmi les Pokémon croisés dans le jeu, certaines espèces sont plus agressives que d’autres (compréhensible), et certains spécimens nommés Barons, de grande taille et aux yeux luisants de rouge, sont très agressifs et accueillent le joueur les approchant d’un peu trop près d’un cri qui le fait tomber au sol. Ces comportements ne sont pas gênants de manière inhérente, mais je regrette grandement le fait qu’ils ne soient jamais modéré par une quelconque échelle de niveau ou de progression dans le jeu. Ainsi, un Paras niveau 4 croisé dans la première zone du jeu sera exactement aussi agressif et enquiquinant, qu’on vienne de se lancer dans l’aventure ou qu’on ait complété le Pokédex et inclus dans son équipe un Arceus niveau 100. Idem pour le cri paralysant des Barons, tout aussi efficace qu’on soit 10 niveaux au-dessous ou 40 niveaux au-dessus du sien. Ce genre de décalage n’existe pas dans les mondes de Monolith et il est insensé, dans une franchise aussi proche de Nintendo, que cette approche ne soit pas répliquée.

Toujours à propos des Pokémon sauvages croisés dans le jeu, Game Freak fait trop peu d’efforts quant à la diversité des espèces selon les zones visitées, comme cela a toujours été le cas dans les jeux Pokémon. Ainsi, là où, dans toutes les grottes des jeux précédents, on était harcelé par des nuées de Nosferapti, quelle que soit la progression dans le jeu ou le monde, dans PLA, toutes les zones vaguement arborées du jeu s’accompagnent d’une horde de Paras qui veulent en découdre, comme s’ils ignoraient qu’ils sont parmi les Pokémon les moins intéressants de toute la franchise. J’ignore pourquoi les game designers se sont dit que les joueurs trouveraient amusant de trouver, en arrivant dans la zone enneigée qui est la dernière découverte, les mêmes Capumain qu’ils avaient déjà croisés au bord de la mer 15 heures plus tôt.

Enfin, PLA comporte des événements semi-aléatoires nommés distorsions spatio-temporelles provoquant l’apparition soutenue de Pokémon à haut niveau, dont certains ne peuvent être rencontrés qu’au sein de ces distorsions. Lorsque le joueur s’efforce d’établir les dernières fiches de son Pokédex, il lui devient important d’ouvrir ces distorsions aussi vite que possible pour capturer les dernières espèces rares. Malheureusement, aucun facilitateur d’apparition n’est jamais découvert au fil de l’aventure. C’est fâcheux, dans la mesure où l’histoire se conclut par la capture des Pokémon légendaires incarnant précisément l’espace et le temps…

Le monde de PLA invite volontiers le joueur à venir découvrir ses recoins et mystères. Il est cependant dommage que son exploration soit aussi peu récompensée. Au gré de l’histoire du jeu, le joueur a accès à une variété de montures qui rendent la traversée plus agréable, ce qui est une très bonne chose. Dommage qu’atteindre les coins les plus inaccessibles ne rapporte absolument rien aux explorateurs les plus aguerris. Ce fut mon cas lorsque je parvins à atteindre le toit d’un temple pas facile d’accès : j’y ai découvert une architecture qui avait manifestement pris du temps à être élaborée, mais dans laquelle aucun objet, aucun Pokémon ne se trouvaient.

Arriver ici n’apporte rien, mais au moins j’ai pu faire une jolie capture.

5. L’Habillage – Squelettique.

PLA est construit à partir d’une belle idée de gameplay, souhaitant rajeunir celui-ci et donner un nouveau souffle à une franchise très stagnante. En ce sens, c’est un très beau premier pas mais Game Freak donne l’impression de s’être arrêté là en ce qui concerne les efforts fournis à l’élaboration de ce jeu.

  • Je ne suis pas le joueur le plus sensible à la qualité graphique des jeux, mais force est de constater que PLA est le monde ouvert le plus laid que j’aie exploré depuis plusieurs années. Le travail de texture est quelques degrés plus bas que le minimum syndical. Aussi, bien que les modèles des Pokémon soient très aboutis, ils sont presque dénués de textures, y compris ceux des Pokémon légendaires, ce qui est à la limite du tolérable dans un jeu full price.
  • Egalement, je ne fais pas partie des joueurs les plus exigeants en termes de voice acting, mais son absence totale du jeu commence à vraiment faire tache en 2022. Cela n’est pas aidé par des dialogues bâclés (il n’y a pas d’autre mot) par-dessus la jambe par des personnes n’ayant vraisemblablement jamais écouté comment fonctionne une conversation entre deux êtres humains. Il me faut chercher loin dans ma mémoire pour y retrouver des dialogues d’une qualité aussi piètre et je pèse mes mots.
  • Pour ce qui est de la musique, PLA a décidé d’adopter l’approche Breath Of The Wild consistant à ne pas toujours jouer de la musique pour laisser place aux sons d’environnement. Pourquoi pas ? Cela fonctionnait bien dans Zelda. Cela étant dit, l’opus de Zelda comporte malgré tout une OST fournie tenant sur 5 CD. J’ignore s’il y a plus de 10 morceaux dans l’entièreté de PLA et ceux-ci sont, au mieux, fonctionnels.
De loin, c’est pas trop moche, ça va.
  • J’ai dit au cours de la première partie de cette critique que je reviendrais sur l’histoire du jeu. A mon avis, l’histoire de PLA n’a aucun intérêt. Elle me semble exister par simple exécution d’une routine ancrée chez les créateurs (et sans doute leur public aussi) selon laquelle il faut qu’un jeu ait une histoire, coûte que coûte. C’est le cas pour beaucoup de jeux, mais PLA semble être selon moi un bon exemple d’un jeu qui n’en a pas besoin. En tout cas, pas une aussi lamentable que celle-ci. Je pense même que le jeu serait mieux sans elle : l’histoire est la seule raison pour laquelle des combats contre autre chose que des Pokémon sauvages ont lieu. Le jeu ne serait-il pas plus fort si seuls les Pokémon sauvages pouvaient nous attaquer ? Les séquences au cours desquels le joueur apaise un Pokémon monarque, en plus de n’avoir aucune utilité sinon celle d’avancer dans l’histoire, sont absurdes (on jette des sachets d’herbes sur des Pokémon enragés… y compris Dieu lui-même !) et présentent un gameplay qui n’apparaît que là. Ajoutons à celà qu’il n’y a aucune différence dans les zones visitées entre avant et après l’apaisement de leurs monarques. Cette histoire ne sert absolument à rien, alors pourquoi écrire un tel simulacre de scenario ? Autant nous dire au début qu’il faut remplir le Pokédex et nous en tenir à ça.
  • Enfin, je ne peux pas conclure cette critique sans mentionner le chara design. Après une longue histoire de designs douteux dans la série, PLA se pare du personnage le plus hideux jamais créé pour un jeu vidéo, le professeur Lavande. Je sais qu’il ne s’agit que d’un point de détail, mais celui-ci est symptomatique d’un problème plus profond chez Game Freak. Il s’agit ici d’un jeu où le protagoniste se fait railler en début d’histoire car, venant du futur, ses vêtements sont étranges. Passons la vacuité totale de cette idée pour en arriver au professeur. Celui-ci porte un costume moderne sous une blouse blanche et est affublé d’une cagoule à pompon. Cet objet n’existe pas, n’a jamais existé et n’existera jamais parce qu’il est ignoble à voir. Comment est-il possible que ce design ait été présenté en réunion de direction de projet et qu’il ait été retenu ? Quelqu’un a-t-il perdu un pari ?
Comment un tel chara design peut-il passer les phases initiales d’un projet ?

Je ne saurais dire si c’est par manque de temps ou par simple paresse que Game Freak continue de se donner aussi peu de moyens pour habiller ses jeux et PLA n’est malheureusement pas une exception. A une époque où des jeux indépendants développés par une poignée de personnes (si ce n’est une seule) parviennent à allier gameplay solide, écriture touchante, direction artistique irréprochable et bande sonore de qualité, difficile de ne pas reprocher à la franchise médiatique la plus lucrative de la planète de ne pas se mettre au niveau.

Conclusion. Un bon prototype.

Avec Pokémon Legends: Arceus, Game Freak a décidé de se secouer un grand coup pour renouveler la formule aujourd’hui bien trop convenue de la série Pokémon et cette démarche est un succès là où cela compte le plus : le gameplay. Avoir entre mes mains un jeu aussi fluide et agréable portant le nom de Pokémon reste une très bonne surprise et je suis content d’avoir acheté et complété ce jeu. Je pense cependant que le pédigrée et la stature de cette franchise exigent un travail plus consolidé au niveau des systèmes et plus travaillé au niveau de l’habillage. Plus le compteur d’heures de jeu avance, plus on se rend compte qu’au-delà du coeur de gameplay, il n’y a vraiment pas grand chose de plus de fait pour ériger ce concept au rang de jeu vidéo complet.

Pokémon Legends: Arceus est un pas ferme dans la bonne direction pour Pokémon et je ne saurais accepter que les futures entrées Scarlet et Violet ne reprennent pas la majorité des avancées qu’il apporte. Cependant, il en faut plus pour considérer l’essai comme transformé.

6/10

Je n’ai besoin de personne en Paragruel

Pink Floyd – Les leads de Roger Waters

Au fil de la carrière de Pink Floyd, le bassiste Roger Waters est celui qui a accumulé le plus de crédits d’écriture des chansons, aussi bien au titre des chansons qu’il a coécrites avec d’autres membres qu’à celui de celles dont il est listé comme le seul auteur. Entre 1968 et 1983, il s’est progressivement constitué comme véritable leader et songwriter principal avant de quitter le groupe. L’évolution de sa position dans le groupe s’est accompagnée d’une évolution des personnes auxquelles il a attribué les leads vocaux et instrumentaux, non sans corrélation entre ces deux mouvances.

La succession

Lorsqu’il s’est établi et baptisé, le groupe Pink Floyd était dirigé par la puissance créative et le charisme du premier auteur, Roger Keith « Syd » Barrett. Le Pink Floyd des débuts était emporté par ce chanteur et guitariste doué d’un sens de la poésie singulier qui a permis, notamment en se reposant lourdement sur la virtuosité du claviériste Richard Wright, au groupe de se forger une identité forte et remarquable en l’espace d’une paire de singles et d’un premier album inimitable en 1967.

piper

Couverture du premier album, The Piper At The Gates Of Dawn. En haut à droite, Barret puis dans le sens horaire : Wright, Nick Mason et Waters

Malheureusement, la tragédie n’a pas traîné à frapper et Barrett, par une combinaison de troubles mentaux et de doses astronomiques de LSD, se grille rapidement le cerveau et participera à peine à l’album suivant avant d’être évincé du groupe. Les trois autres membres du groupe ont quant à eux bien envie d’en faire leur gagne-pain, donc ils recrutent rapidement un nouveau guitariste (David Gilmour) et s’attellent à la tâche difficile de créer des nouvelles chansons sans Syd.

En dehors des morceaux collaboratifs nés d’improvisation de groupe et logiquement attribués aux quatre membres du groupe, il faut, pour alimenter des albums, créer des chansons au format un peu plus conventionnel. Pour créer celles-ci, deux candidats se manifestent dans un premier temps : Roger Waters et Richard Wright. David Gilmour se lancera un peu plus tardivement mais finalement ne sera auteur seul que de peu de chansons du groupe avant sa première séparation en 1983.

Les chansons de Richard Wright portent toutes des ambiances singulières, quelque part entre jazz, pop psychédélique et musique d’avant-garde, avant de s’aventurer vers des contrées plus glorieuses. En général, selon l’auditeur, ça passe ou ça casse : soit l’unicité de la chanson fera hurler au génie, soit elle ne retiendra en rien son attention. Waters, quant à lui, puise au départ parmi de nombreuses inspirations textuelles : poésie orientale, textes bibliques, paroles des Beatles et traumatismes de la guerre (il a perdu son père et son grand-père au cours des deux Guerres Mondiales). Plus simple sur la composition mais plus à l’aise sur l’écriture, il deviendra peu à peu le parolier principal (puis unique) et compositeur le plus prolifique du groupe. Par conséquent, c’est à lui que revient de loin le plus grand nombre de chansons de Pink Floyd ne créditant qu’un seul auteur et compositeur.

Rogé

Les outils de Waters

De 1965 à 1983, j’ai dénombré 63 chansons de Pink Floyd créditant uniquement Roger Waters comme auteur-compositeur. La simplicité générale de son approche de la composition (grilles d’accords rudimentaires, peu de rythmiques farfelues, peu de riffs révolutionnaires) fait que pour atteindre ce score très respectable, Waters a su varier avec talent les palettes sonores, orchestrations et arrangements de ses chansons.

Je souhaite revenir ici sur la variété des outils qu’il a mis en oeuvre pour enrichir ses compositions et contribuer à l’édifice monumental qu’est la discographie de Pink Floyd, et plus précisément à qui il a confié les leads, qu’il s’agisse de parties chant principales ou de solos et autre leads instrumentaux. En effet, on ne peut pas franchement inclure un solo de basse dans toutes ses chansons, mais surtout, Waters se heurte initialement à la réalité qu’il n’est pas le plus virtuose des musiciens du groupe, ni non plus le chanteur le plus doucereux…

Commençons par le commencement.

Les années 1960

En 1965, avant que le groupe de jeunes étudiants changeant allègrement de nom comme « The Architectural Abdabs », « The Mega Deaths » et « Sigma Six » ne décide de s’appeler « Pink Floyd », c’est sous le nom « The Tea Set » qu’il réalise son tout premier enregistrement. De cette session émergent des reprises de classiques du blues, des chansons originales écrites par Syd Barrett et une chanson écrite par Roger Waters, la première, « Walk With Me Sydney ». Waters y partagera le micro avec Barrett et la petite amie de Richard Wright, Juliette Gale – qui épousera Wright quelques années plus tard mais ne jouera plus jamais avec le groupe. Pour ce qui est des leads instrumentaux, nous aurons de la guitare par Barrett ainsi que du piano électrique par Wright.

Deux ans plus tard, Waters signe une des chansons du premier album, de Pink Floyd cette fois-ci, et l’aventure démarre.

 

 

Le premier constat assez étonnant (surtout quand on connaît la suite…) est l’humilité de Waters : il ne chante en lead que sur la moitié de ces chansons et ne s’offre que trois solos. Même lorsqu’il chante, en 1967 et 1968, il partage toujours le micro avec au moins un autre membre du groupe à part sur « Set The Controls For The Heart Of The Sun ».

Deuxième constat : il a souvent recours au même « joker » instrumental que Syd Barrett avant qu’il quitte le groupe, à savoir Richard Wright. Wright, en plus d’être le meilleur improvisateur du groupe, est un caméléon pouvant jouer de tous types de claviers, mais aussi du vibraphone et – nous le verrons plus tard – même du trombone ! Il est donc extrêmement facile de compter sur lui pour enrichir l’ambiance d’un morceau et lui fournir la virtuosité instrumentale attendue de toute chanson de pop/rock psychédélique ou progressive.

Troisième constat pour ces années 1960, dont l’importance se révélera cruciale pour la suite : Roger Waters met immédiatement à rude épreuve les talents de chanteur et de guitariste du nouvel arrivant David Gilmour dès son inclusion au groupe. Gilmour se voit confier le chant et la guitare acoustique, ainsi qu’un lead de slide guitar, sur la première chanson enregistrée après son arrivée, « Julia Dream ». Il devra livrer son premier solo de guitare électrique dès l’enregistrement suivant « Let There Be More Light » et chantera la majorité des chansons écrites par Waters sur la suite de cette période.

En 1969, Pink Floyd réalisera son deuxième album de l’année, Ummagumma, sous la forme d’un enregistrement en concert, puis d’un album studio sur lequel chaque membre réalise une demi-face du vinyle, absolument tout seul. C’est la raison pour laquelle les deux dernières colonnes ne contiennent que du rouge. Waters y réalise une ballade acoustique simple et très paisible, et un morceau totalement a cappella extrêmement expérimental.

En dehors de ces grandes lignes, Waters est l’auteur de la seule chanson de Pink Floyd sur laquelle les quatre membres partagent le lead vocal, qui sera également sa première chanson de satire politique au sujet de la guerre, « Corporal Clegg ». Il n’a donc à cette époque pas peur de varier les interventions en faisant chanter le batteur Nick Mason, mais aussi en confiant un solo de pipeau à l’épouse de ce dernier sur « Green Is The Colour ».

Mais cette période de forte expérimentation ne durera pas et le groupe va finir par trouver sa personnalité musicale, ce qui cantonnera un peu plus les rôles dans la décennie suivante.

Les années 1970 (avant The Wall)

Les années 1970 sont sans aucun doute la décennie incontournable de la discographie de Pink Floyd. Au cours de cette période, le groupe conclut sa phase d’expérimentation sonore, termine de façonner son identité musicale, entérine Roger Waters comme parolier unique sur 5 albums et sort toutes ses chansons classiques dont celles de deux albums légendaires. Je garde de côté l’album The Wall sorti en 1979 pour des raisons qui deviendront très apparentes à la vue des tableaux suivants.

 

Gilmour et Wright ayant passé la moitié de la décennie précédente à affûter leur style instrumental à la guitare et aux claviers, Waters est parfaitement conscient de ne plus pouvoir rivaliser avec eux dans ce domaine. Plus aucun solo de basse ni lead de guitare acoustique : c’est d’ailleurs Gilmour qui jouera les solos de basse de « Pigs ». Par contre, fort du succès en concert de plusieurs morceaux dont il est le seul chanteur (« Set The Controls… » et surtout « Careful With That Axe, Eugene »), il rechigne beaucoup moins à chanter ses propres chansons. Par ailleurs, son éventail d’inspirations textuelles va se concentrer progressivement sur des sujets qui lui tiennent à coeur, ce qui le motivera d’autant plus à chanter ses textes.

La versatilité de Richard Wright est toujours mise à contribution, notamment à l’avènement des synthétiseurs, dont Pink Floyd se fera l’avocat dès 1972, mais il apparaît également qu’il intervient de manière plus sporadique que dans les ’60s où il était pratiquement omniprésent. Les mauvaises langues (comme moi) diront que c’est parce que travailler avec Wright rappelle trop à Waters l’époque où c’était sur lui que se reposait Syd Barrett, reléguant le bassiste à sa place « traditionnelle » dans la section rythmique du groupe.

En réalité, il est probable que Waters ait plus régulièrement recours aux cordes vocales et pincées de Gilmour pour deux raisons. D’une part, l’ayant fait intervenir dans ses morceaux depuis qu’il a intégré la formation, il devait voir en lui un collègue plus faisabiliste que Wright. D’autre part, il est clair qu’ils ont plus de connivences musicales : influences plutôt blues que jazz, volonté de faire du rock plutôt que de la musique d’avant-garde. Le résultat est une omniprésence de Gilmour aux leads, soit en chant, soit en guitare, soit aux deux. La seule exception à ce constat est « Pigs On The Wing », une chanson en guitare-voix que Waters joue et chante tout seul.

Par ailleurs, Waters continue à faire intervenir des personnes extérieures au groupe. Dans le cas du chant de « Have A Cigar » par Roy Harper, il s’agit d’une heureuse coïncidence de studio, car ni Waters ni Gilmour ne parvenaient à chanter la chanson de manière satisfaisante. Harper, qui enregistrait son album HQ dans les mêmes studios, a proposé de le faire et c’est cette version qui a été retenue. Mais l’apparition de Dick Parry au saxophone sur « Money » n’a rien de hasardeux : le groupe avait délibérément collaboré avec des éléments extérieurs en 1970 pour Atom Heart Mother et cela se reproduira à partir de The Dark Side Of The Moon et sur tous les albums suivants sauf Animals en 1977.

Comme mentionné plus haut, cet album est encadré par les deux moitiés d’une chanson interprétée intégralement par Waters. Ceci n’est pas anodin car, bien qu’il soit arrivé à plusieurs reprises dans la vie du groupe jusqu’alors que chaque membre écrive et compose seul des chansons, c’est la seule de ces chansons où le membre auteur est seul sur l’enregistrement depuis Ummagumma en 1969. Que 2 des 5 pistes d’Animals ne comportent que Roger Waters marque un tournant important dans la carrière de Pink Floyd : le bassiste se positionne désormais en leader et frontman du groupe.

The Wall

Double album le plus vendu de l’histoire de la musique, l’opus de 1979 est un succès particulièrement amer dans l’histoire de Pink Floyd. Les relations entre les membres sont au plus bas, Waters le voit de plus en plus comme une extention de lui-même et son inspiration, qui ne fait que croître, finit par écraser la créativité des autres solistes du groupe : Wright et Gilmour préféreront sortir chacun un album solo en 1978 plutôt que de tenter de les réaliser au sein du groupe. David Gilmour reste solidement accroché au navire en second affirmé de la hiérarchie tacite du groupe, mais Wright dévisse et sa motivation s’effondre. Waters ne lui confie presque plus rien sur l’album et lui préfère une explosion d’intervenants extérieurs, puis finit par convaincre les autres membres et leur manager de le faire renvoyer.

La première évidence est que parmi les 28 chansons du projet The Wall (album et film inclus) 24 sont écrites et composées uniquement par Roger Waters et toutes sauf deux sont chantées au moins par lui. The Wall est clairement un projet personnel de Roger Waters qu’il a accepté de partager avec Pink Floyd, ce qui ne sera même plus le cas sur l’album suivant.

Wright, comme je l’ai dit, ne joue que sur une poignée de chansons, ne chante plus pour Waters depuis « Eclipse » en 1973, et ne se voit attribuer qu’un seul lead pour lequel je suis généreux : les contrechants de synthétiseur à la fin de « Another Brick In The Wall, part 1 ».

David Gilmour est toujours présent au chant quand il faut donner un contraste avec la voix de Waters – chacun est libre de confronter leurs interprétations de l’expression « oooh babe » sur « Don’t Leave Me Now » – joue énormément de solos et de leads de guitare ainsi qu’un nouveau lead de basse, mais même lui devient temporairement remplaçable aux yeux de Waters, qui confie la guitare classique de « Is There Anybody Out There? » à Joe DiBlasi.

Deux choeurs sont invités sur l’album : un choeur d’enfants pour la cultissime « Another Brick In The Wall, part 2 », un choeur d’adultes pour l’interlude « Bring The Boys Back Home ».

Artéfact étrange de ce projet si personnel de Waters: il ne joue ni ne chante absolument rien sur « The Show Must Go On ». C’est la seule chanson qu’il ait écrite ou composée et sur laquelle il n’apparaît aucunement, occupant plutôt le poste d’un directeur musical. Il rectifiera amplement cet écart de conduite sur son dernier album estampillé « Pink Floyd ».

The Final Cut

Au début des années 1980, après le succès planétaire de The Wall, la tournée promouvant l’album les ayant ruinés, le film associé à l’album sorti en 1982, les trois membres restants du groupe étaient enfin prêts à passer à autre chose… Mais en fait, non ! Gilmour et Mason sont épuisés par l’atmosphère putride qui règne dans ce qu’il reste de Pink Floyd, et Roger Waters n’a pas dit son dernier mot sur sa colère, la mort de son père, la guerre et la classe politique. Il ressuscite donc des chansons rejetées des maquettes de The Wall, ajoute de nouvelles piques destinées à Margaret Thatcher et est prêt à enregistrer la suite du Mur. Que le reste de Pink Floyd le suive ou non.

Sur l’arrière de la pochette de l’album, il est inscrit : The Final Cut, a requiem for the post war dream by Roger Waters, performed by Pink Floyd. Cette fois-ci c’est clair : il s’agit d’un album solo pur et simple de Roger Waters sur lequel les deux autres membres du groupe jouent. Et encore, pas sur toutes les chansons, qui, cette fois-ci, sont toutes, sans exception, créditées à Roger Waters seul.

En plus d’avoir écrit et composé toutes les chansons de l’album, Waters les chante toutes, partageant avec Gilmour le lead vocal sur la seule « Not Now John ». Gilmour joue des solos bien plus froids et dénués d’émotion que ceux qui ont fait sa marque de fabrique sur la moitié des morceaux et apparaît à peine sur les autres. Nick Mason ne joue même pas la batterie sur tous les morceaux en comportant.

Par contre, ce tableau est, parmi tous ceux présentés dans cet article, celui qui contient le plus de lignes bleues, c’est-à-dire de leads confiés à des musiciens externes au groupe. En guise d’introduction de sa carrière solo à venir, Roger Waters convie sur ce disque des artistes de haut rang, comme entre autres Michael Kamen (plus connu pour avoir composé la musique du film Lethal Weapon) au piano et l’excellent saxophoniste Raphael Ravenscroft. Andy Bown, qui faisait partie de la formation des concerts The Wall, se charge lui aussi du piano et de l’orgue, dans un style imitant tellement celui de Richard Wright qu’encore à la sortie en 2017 de son album Is This The Life We Really Want?, il est ironique de constater l’empreinte que son rival de toujours a laissée sur Roger Waters.

The Final Cut sera le dernier album que Roger Waters fera en tant que membre de Pink Floyd. Il quitte le groupe en 1985 (enfin, il pense mettre fin au groupe mais oublie qu’il n’est pas le seul membre…) et sort par la suite plusieurs albums qu’il concevra de la même manière : il écrit et compose tout, chante la majorité des chansons mais confie la plupart de la musique à un panel changeant d’excellents musiciens. Ce modus operandi vers lequel son travail avec Pink Floyd l’aura fait converger n’évoluera plus : Roger Waters s’était enfin trouvé !

La construction d’un artiste solo

Il serait stupide et simpliste de reprocher à l’ego seul de Roger Waters l’éclatement de la formation classique de Pink Floyd, tant il a autant oeuvré à sa consécration qu’à sa perte. Le personnage lui-même a fait l’objet d’une foule de psychanalyses par le proxy de fans et critiques cherchant à comprendre les rouages de ce groupe hors du commun, donc je n’ai aucune raison d’y verser mes propres platitudes. Par contre, l’évolution de ce musicien est singulière.

« Maggie, what did we do? »

C’est difficile à visualiser aujourd’hui alors qu’il se tient devant nous comme l’inventeur des « concerts de rock de stade » et un des musiciens les plus riches de l’histoire – surtout quand, dans mon cas, on est né plus de 20 après Pink Floyd – mais Roger Waters était loin d’être un membre essentiel du groupe à cette époque, j’en suis sûr. Ses premières compositions à l’ère de Syd Barrett n’ont rien d’inoubliables et il y avait, dans les années 1960 à Londres, des dizaines de bassistes bien meilleurs que lui.

1967

« Real eyes realise real lies »

Nombre de documentaires et articles sur la carrière de Pink Floyd passent au moins 40% de leur temps à décrire le vol d’Icare de Syd Barrett parce qu’il est à la racine de tout ce qui a suivi dans la carrière du groupe, longtemps après son départ. Mais je pense qu’il y a également beaucoup à dire sur l’épanouissement lent mais sûr (pour le meilleur et pour le pire) de celui qui allait devenir le deuxième patron du groupe, alors que le hasard aurait pu le voir remplacé par un(e) autre bassiste hypothétique quelque part entre 1965 et 1967.

Richard Wright a toujours été synonyme de Pink Floyd en termes de sonorités et surtout d’atmosphère – c’est pour cela que The Final Cut, bien qu’étant selon moi le meilleur album de Roger Waters, n’a jamais vraiment été un album de Pink Floyd. David Gilmour et ses solos de guitare intouchables font indéniablement partie intégrante du « grand » Pink Floyd des années 1970. La question de l’importance de Nick Mason pour Pink Floyd ne se pose pas puisqu’il est le seul membre du groupe à toujours en avoir fait partie, et probablement le seul aujourd’hui à vouloir encore le voir exister sous une quelconque forme. La fierté de Roger Waters a engouffré l’équilibre délicat de Pink Floyd comme un trou noir, mais force est de constater que c’est lui qui a écrit ou co-écrit la majorité de ce que ce groupe a produit, notamment parce qu’il s’est fait violence au moment critique où le groupe, s’il ne trouvait pas un moyen de remplacer son diamant devenu fou, n’aurait jamais vu les années 1970.

1972

« Oh, by the way, which one’s Pink? »

Le résultat c’est qu’il a vite oeuvré à travers Pink Floyd à sa propre construction en tant qu’auteur, compositeur, arrangeur, producteur mais aussi interprète avec un style de chant tranchant très singulier qui n’avait d’autre choix que de se démarquer des voix claire de Gilmour et veloutée de Wright. Pour moi il est clair que ses meilleures chansons ont été conçues au sein de Pink Floyd plutôt qu’au fil de sa carrière solo, mais il est quand même devenu un artiste solo ayant collaboré avec des pointures comme Jeff Beck et Eric Clapton par la suite et a pu s’illustrer en son nom propre.

Dave

« Dave and I were never mates. »

Ces tableaux illustrent comment il s’est reposé sur une structure qui le dépassait et comment le fait qu’il en sorte un jour ou l’autre était de toute façon inévitable. J’aurais préféré que cela se fasse avec moins de perte et de fracas, mais l’artiste Roger Waters ne pouvait plus être contenu dans quoi que ce soit à l’aube des années 1980, c’est une évidence.

 

Live 8

« We were all equal in the end. »

 

Burn, le sommet de Deep Purple

Où je vais essayer de vous expliquer comment un changement dramatique de formation a engendré la chanson ultime du genre hard rock.

Bien que Deep Purple ne soit absolument plus à présenter, la richesse immense du catalogue de cette véritable institution du classic rock reste à mon sens méconnue. En marge des classiques connus et reconnus du groupe, ainsi que du riff de « Smoke On The Water » qui fut le premier appris par la plupart des guitaristes de la planète depuis 1972, la discographie du groupe regorge de pépites témoignant de deux choses : l’immense talent de tous les musiciens ayant oeuvré sous cette enseigne mythique, et les nombreuses mouvances de la direction musicale d’un groupe pourtant pris comme référence du hard rock « pur ». Mais qui sont ces musiciens, exactement ? Et quelles furent ces mouvances ?


Chaises musicales

La productivité incroyable du Deep Purple des premières années (10 albums et 2 pièces pour groupe et orchestre en 7 ans) a tendance à masquer le fait que la composition du groupe a beaucoup varié sur cette brève période. 9 membres se sont succédé au sein de 4 formations et ont tous apporté leurs influences et inspirations dans la tambouille, ce qui a produit des albums disparates, des palettes sonores variées et des morceaux brillants de bien des manières différentes.

Deep Purple mk I

DP 1

Blackmore, Lord, Evans, Simper, Paice

Deep Purple naît à la fin des années 1960 de la rencontre de deux musiciens anglais, l’organiste Jon Lord et le guitariste Ritchie Blackmore. Bénéficiant tous deux de formations musicales classiques, d’éxpériences passées dans d’autres groupes, d’une passion pour le rock’n’roll, le blues mais aussi les musiques classiques et folklorique anglaise, leurs atomes crochus sont nombreux et ils se réunissent avec le batteur Ian Paice, le bassiste Nick Simper et le chanteur Rod Evans pour enregistrer à la base des reprises de blues à la manière de Vanilla Fudge.

Prenant le nom de la chanson préférée de la grand-mère de Blackmore, ils se font vite connaître avec une reprise psychédélique du « Help » des Beatles et ajoutent rapidement des compositions originales à leur répertoire encore riche en reprises. A partir du deuxième album (The Book Of Taliesyn), Lord asseoit peu à peu une domination de la démarche créative du groupe, y insufflant son ambition totalement assumée de marier musique classique et rock’n’roll. Cette direction musicale du groupe par Lord culmine avec le troisième album éponyme en 1969, puis un projet de Concerto pour groupe de rock et orchestre. Pour créer le concerto au Royal Albert Hall, Lord et Blackmore sont convaincus que le jeu et le chant trop doucereux de Simper et Evans vont poser problème. Ils décident donc de se séparer d’eux et de les remplacer par deux nouvelles têtes.

Deep Purple mk II(a) – la formation « classique »

DP2

Glover, Blackmore, Gillan, Lord, Paice

Lord, Blackmore et Paice recrutent Roger Glover à la basse et Ian Gillan au chant pour la représentation du concerto de Lord et resteront dans le groupe pour les 4 albums suivants et une autre oeuvre pour orchestre de Lord qui propulseront Deep Purple sur la scène internationale et les entérineront comme un des trois groupes intouchables du rock anglais des années 1970 avec Led Zeppelin et Black Sabbath.

L’entrée de Deep Purple dans cette trinité de la guitare électrique est le résultat d’un passage de relais à la tête du groupe. Après avoir suivi la direction artistique de l’organiste du groupe, le guitariste Ritchie Blackmore décrète que c’est maintenant son tour et oriente le groupe vers une identité bien plus agressive, s’appuyant notamment sur le jeu plus dynamique de Glover et le chant tranchant de Gillan, les deux nouveaux arrivants participant par ailleurs activement à la conception des chansons. Paice, quant à lui, suit le mouvement en musclant significativement son jeu et Lord parfait sa maîtrise des claviers pour être toujours plus à même de rivaliser avec la saturation de la guitare de Blackmore. L’équilibre de ces 5 excellents musiciens est atteint sur l’album Machine Head dont sont issues notamment « Smoke On The Water » et un remarquable morceau d’ouverture avec « Highway Star ».

Un autre album, moins inspiré, sort en 1973 et la fatigue de tournées interminables combinée à des tensions grandissantes entre Blackmore et Gillan fissurent cette formation qui n’aura finalement tenu que 3 ans avant de se séparer… une première fois. Gillan et Glover quittent le groupe pour démarrer, chacun, une carrière solo également à fort succès (le groupe Gillan est légendaire en son nom propre et le premier single solo de Glover sera la gigantesque « Love Is All ») et les trois membres fondateurs de Deep Purple se mettent immédiatement en recherche de remplaçants.

Deep Purple mk III

DP3

Lord, Hughes, Coverdale, Paice, Blackmore

Les recherches ne dureront pas longtemps car la troisième itération de Deep Purple enregistrera son premier album en 1973, l’année-même du départ de Gillan et Glover. Le groupe recrute d’abord le bassiste et chanteur Glenn Hughes, puis le chanteur David Coverdale, âgés d’à peine plus de 20 ans à cette époque. Pour la première fois depuis la formation, les recrues ne sont pas des musiciens dont la carrière était déjà professionnelle. Leur talent ne tardera toutefois pas à se démontrer, ainsi que leurs sensibilités musicales qui vont étendre à nouveau les influences du groupe.


Faire à nouveau ses preuves

L’éclatement de la formation classique de Deep Purple a fait office d’électrochoc dans le monde du rock britannique des années 1970. Le groupe s’était fait bien plus qu’un nom et était considéré comme un des – sinon le – plus grands en activité lorsqu’on apprit que Roger Glover et Ian Gillan n’en faisaient plus partie. Comment les membres restants peuvent maintenir la confiance du public, garder leur image du « groupe le plus bruyant du monde » mais continuer à se renouveler pour ne pas finir rapidement dans le réchauffé ?

C’est le casse-tête auquel vont se confronter Lord, Paice et Blackmore, main dans la main avec un Coverdale et un Hughes, initialement fans du groupe eux-mêmes et tout à fait conscients de la tâche à accomplir. Le résultat ne décevra pas. Enregistré en 1973 et publié en 1974, le premier album de Deep Purple mk III conserve l’énergie devenue marque de fabrique du groupe au fil des années et voit se combiner les talents déjà établis de Blackmore, Paice et Lord avec les voix parfaitement ambivalentes de Hughes et Coverdale. Les 8 chansons, dont 5 sont composées par l’ensemble du groupe, restent résolument hard rock, mais incluent aussi des aspects plus soul et funk hérités directement des influences des deux chanteurs.

En plus d’une qualité globale excellente, l’album décide d’attaquer de front les craintes d’un public qui attend au tournant la nouvelle formation : la chanson-titre est positionnée en piste 1 et va immédiatement surpasser la légendaire « Highway Star » comme meilleure ouverture d’un album de Deep Purple.

Burn1


La plus épique de toutes les syllabes

« Burn » entame l’album du même nom sans laisser à l’auditeur le temps de s’installer confortablement dans son siège : la guitare de Ritchie Blackmore joue le riff principal du morceau, cantonné à deux simples accords, dès la première mesure et est très rapidement rejointe par une batterie frénétique, une basse obsessionnelle et un orgue reprenant le riff.

Le premier de trois couplets particulièrement emphatiques chantés par David Coverdale arrive rapidement par la suite, et il suffit d’une phrase à Coverdale pour affirmer sa position sur le poste tant prisé du lead singer de Deep Purple. Son « she makes you burn with a wave of her haaaaaand! » ne laissera pas grand monde indifférent. Pendant que Coverdale déclame la détresse des paroles à gorge déployée, Ian Paice utilise chaque phrase chantée comme une excuse pour réaliser un véritable solo de batterie s’arrêtant tout juste à la limite de la surcharge.

Contrastant avec la voix rauque et brûlante de Coverdale, celle, claire et incisive, de Glenn Hughes apparaît à la toute fin du couplet pour une simple fraction de phrase : « All I hear is… », catapultant la chanson dans un des refrains les plus simples de l’histoire du rock. Coverdale et Hughes, en harmonie, hurlent le mot « Burn » sur trois mesures, pendant lesquelles l’instrumental s’autorise enfin un troisième accord, ouvrant efficacement l’horizon musical du morceau et faisant probablement de ce refrain la plus épique de toutes les syllabes jamais chantées.

Un deuxième couplet confirme la puissance et la dangerosité de la femme diabolique venue raser des villes entières de ses bras enflammés, en suivant exactement la même structure musicale, refrain compris. La chanson bascule alors dans un pont, chanté cette fois-ci par la voix de Glenn Hughes, qui se conclut par un « Time » presque aussi sublime que le « Burn » du refrain, ajoutant des effets de modulation de phase au chant, comme Jon Lord l’avait parfois fait sur son son d’orgue.

Le pont permet à la chanson de s’articuler vers une première section instrumentale, focalisée sur les guitares de Ritchie Blackmore. Le guitariste commence par livrer un solo de maître digne des plus belles performances d’un Jimmy Page, rapide, précis mais aussi mélodieux et chargé d’émotion. Le solo fait ensuite mine de se conclure, pour en réalité se transformer en un duo de guitares (mixées dans les canaux gauche et droit en stéréo) réalisant des motifs harmoniques simples qui ne sont pas sans rappeler la musique baroque, influence majeure de Blackmore et Lord. La toute fin de cette section instrumentale consiste en une accélération de ces motifs harmoniques, soutenue par des rafales de caisse claire de Paice.

Retour au pont de Glenn Hughes, réalisé à l’identique pour pouvoir donner leur tour aux claviers de Jon Lord. Suivant un schéma similaire à la section de guitares de Blackmore, Lord entame sa démonstration par un solo d’orgue électrique Hammond comme il en a le secret : le vrombissement de l’orgue virevolte avec une rapidité déconcertante dans une mélodie changeant sans cesse de cadence, avant de sombrer vers le bruit blanc typiquement en faisant physiquement basculer l’orgue tout entier. C’est alors que Lord s’essaye à son tour à l’interpolation de motifs baroques en superposant 2 pistes d’orgue Hammond, une de piano et une de synthétiseur analogique Minimoog. La combinaison de tous ces instruments crée une atmosphère totalement enveloppante nous faisant oublier pendant 30 secondes que l’on se trouve au beau milieu d’une chanson de hard rock.

Retour à David Coverdale pour un troisième couplet, puis un troisième refrain, toujours aussi efficace qu’à la première occurence et une coda instrumentale simple et efficace boucle la chanson aux alentours de la barre des 6 minutes.


Traînée de poudre

« Burn » démarre fort et ne se relâche absolument jamais. On pourrait couper sa durée en 12 sections de 30 secondes et chacune de ces 12 sections serait excellente. Elle est, pour moi, l’ultime chanson de hard rock et le plus bel exploit d’un groupe qui en comptait déjà plusieurs. Seulement, elle souffrira rapidement d’une triste réalité : elle n’a pas été réalisée par la formation classique de Deep Purple.

Deep Purple mk III ne réalisera que deux albums avant que Ritchie Blackmore, insatisfait de la direction musicale du groupe, décide de voler vers d’autres cieux (fonder un autre groupe de renom mondial, Rainbow). Deep Purple mk IV ayant donc la même formation à l’exception du guitariste, le groupe jouera encore « Burn » en concert, mais malheureusement, le groupe vivra en 1976 une séparation qui semblait définitive. « Burn » n’aura été jouée sur scène par Deep Purple qu’à peine plus de 2 ans.

L’histoire du groupe est loin d’être finie à ce stade, mais celui-ci s’étant reformé sous sa forme classique dans les années 1980 (Deep Purple mk II(b)) et Ian Gillan, toujours au micro du groupe en 2019, refusant catégoriquement de jouer quoi que ce soit de la période mk III/IV, « Burn » n’a plus été jouée par ce groupe depuis plus de 40 ans et ne le sera sûrement plus jamais.

Cependant, cette chanson a laissé une trace dans le monde du rock, à commencer par les autres projets des membres de la troisième formation.

  • Whitesnake, le groupe créé par Coverdale et Lord après l’explosion de 1976, a enregistré en 2015 et joué en concert à plusieurs reprises une nouvelle version de « Burn ».
  • Glenn Hughes a lui aussi réenregistré la chanson pour son album de 1994, From Now On… et joue toujours la chanson en concert (j’ai eu la chance de le voir faire la semaine dernière).
  • Rainbow a joué Burn en concert plusieurs fois, mais en supprimant la section de claviers.
  • Jon Lord nous a malheureusement quittés en 2012 des suites d’un cancer du pancréas. Un gigantesque concert collaboratif avec orchestre a été organisé au Royal Albert Hall, au cours duquel la chanson a été jouée. En plus de l’orchestre, le groupe comprenait entre autres Ian Paice à la batterie, Don Airey (successeur de Lord chez Deep Purple) à l’orgue, Bruce Dickinson (chanteur d’Iron Maiden) au chant et Rick Wakeman (illustre claviériste de Yes) au Minimoog.

Toutes ces versions, ainsi que les nombreuses reprises faites au fil des décennies par des groupes de rock ou de metal, ont le mérite immense de perpétuer la présence de « Burn » dans des oreilles autour du globe, mais aucune n’aura su égaler l’originale.

A part peut-être celle du Royal Albert Hall.

GRIS – Galerie de captures

J’ai récemment eu le plaisir de jouer au jeu indépendant espagnol GRIS et j’ai passé toute la partie à m’émerveiller de sa direction artistique impeccable. J’ai envie de partager quelques captures d’écran que j’ai réalisées au fil de ma partie.

Captures réalisées sur Nintendo Switch, avec le bouton dédié.

1.jpg

2.jpg

3.jpg

4.jpg

5.jpg

6.jpg

7.jpg

8.jpg

9.jpg

10.jpg

11.jpg

12.jpg

13.jpg

14.jpg

15.jpg

16.jpg

17.jpg

La Musique de Zelda : Ocarina Of Time

On ne présente plus The Legend Of Zelda: Ocarina Of Time et il est inutile de rappeler que ce jeu compte parmi les transitions les plus réussies d’une série de la 2D vers la 3D. Bien que la partie musicale de la franchise n’ait pas littéralement acquis une nouvelle dimension dans ce passage de la SuperNES à la Nintendo 64, cela n’a pas empêché Koji Kondo d’enrichir son travail de mise en musique de ces jeux, bien au contraire. Je reviens aujourd’hui sur le joyau vidéoludomusical qu’est ce jeu… légendaire (cet article est sponsorisé par Carambar).

Lorsqu’une série de mots apparaît en gras avec un lien hypertexte, cliquer dessus vous apportera à une vidéo du thème musical associé.

DETAIL IMPORTANT : la musique de ce jeu, initialement sorti sur N64, utilise une bibliothèque de sons MIDI. Elle est donc intégralement synthétique. Cependant, nombre de ces sonorités imitent ostensiblement des instruments réels relativement identifiables. Par raccourci rédactionnel, je vais employer des noms d’instruments réels comme « violons, cuivres, flûte », mais il s’agira toujours d’une version synthétique de ces instruments.

Par ailleurs, je vous présente par avance toutes mes excuses pour les dizaines d’apparitions des mots « atmosphère » et « ambiance ». C’est un thème primordial de cette OST (Original Soundtrack) et il n’y a malheureusement pas beaucoup de synonymes de ces notions.


Au commencement était la flûte

Le paisible et pittoresque écran-titre d’Ocarina Of Time accueille le joueur avec une grande sérénité, tant dans l’imagerie d’un Link à cheval galopant lentement à l’aube que dans le réarrangement duveteux de ce qui n’était au départ qu’un jingle de 4 secondes du tout premier opus de The Legend Of Zelda.

Koji Kondo ressuscite donc la séquence de six notes qui accompagnait dans Zelda 1 l’utilisation de la flûte et parvient à en extraire un thème complet de deux minutes, certes toujours minimaliste, mais d’une atmosphère imparable.

Pour ce faire, Koji Kondo puise dans l’héritage d’un compositeur classique s’étant illustré dans l’art de générer une ambiance émouvante à partir de motifs très simples : Erik Satie. Un tout petit coup d’oreille à sa Gymnopédie n°1 et l’inspiration est flagrante. Kondo emprunte à Satie ce matelas de piano à deux accords presque jazzy avant l’heure et brode juste ce qu’il faut de variations sur la mélodie de la flûte (ou, pour honorer le titre du jeu, de l’ocarina) pour obtenir un thème digne de ce nom, qui réveillera plus de 20 ans plus tard les fibres les plus nostalgiques d’entre nous à coup sûr. Ce type de tissu d’ambiance sera d’ailleurs recréé à la harpe dans le thème de fin du jeu.

Si je m’attarde autant sur ce tout premier thème audible dans le jeu, c’est parce qu’il encapsule selon moi les deux axes majeurs qui font de l’OST d’Ocarina Of Time une pièce maîtresse du genre musical qu’est la musique de jeu, mais aussi une oeuvre séminale pour tout ce qui suivra dans cette série, pour ne pas dire dans toutes les séries Nintendo. Ces deux axes sont le travail d’ambiance et le réemploi de thèmes existants.

Petit aparté : ce n’est pas la première fois que Koji Kondo réutilise le jingle de la flûte…


Une multitude d’environnements, autant d’ambiances

Atmosphère

Le thème du premier donjon du jeu (l’intérieur de l’Arbre Mojo) montre d’emblée l’agilité avec laquelle Koji Kondo peut produire une atmosphère enveloppante en utilisant un contrôleur MIDI. Tout n’est que réverbération et sonorités feutrées, sans rien d’autre. Une seule piste, sporadique, qui fait éclore un thème pétale après pétale. Kondo a toujours su sélectionner ses sonorités pour pouvoir contourner les contraintes techniques avec lesquelles il composait. Dès le tout premier thème de donjon de la série, il avait astucieusement dédoublé les arpèges d’accompagnement sur deux canaux du contrôleur 8-bit pour que les notes se superposent au lieu de simplement se succéder.

Habitants

Comme toujours dans Zelda, la quasi-totalité des environnements que Link peut visiter est accompagnée d’un thème qui lui est associé. Kondo emplit chaque lieu d’une identité propre comme on colore un dessin et teinte celui-ci d’une humeur correspondant à l’impression qu’il doit nous donner, ou bien à la personnalité de ses occupants.

Ainsi, la Forêt Kokiri exulte de cette joie naïve et insouciante des Kokiri, le Village Goron rebondit avec la même maladresse que les Gorons et le Domaine Zora irradie de toute la délicatesse des Zora. Mais s’il y a bien un thème d’environnement sur lequel tous les fans de Zelda sont unanimes, c’est celui de la Vallée Gerudo.

La contrée aride et ensoleillée des voleuses du désert est aussi le fief d’un vent puissant et impétueux qui semble soulever tous les coeurs et animer quiconque pénètre en ces lieux d’une motivation inébranlable. En tout cas si l’on en croit la musique latino/gitane qui en émane. Des percussions traditionnelles crépitent en permanence, des guitares impriment une course dynamique et une autre guitare soliste joue une mélodie d’abord douce, puis reprise avec emphase par des trompettes. Impossible de rester calme en entendant cette musique vivifiante.

Paysages

Un des morceaux les plus emblématiques issus de l’OST d’Ocarina Of Time est sans surprise le thème de la plaine d’Hyrule. Orchestral (du moins, autant que le MIDI le permet), dynamique, épique et entraînant, ce thème souvent imité mais jamais égalé dans la série concatène dans près de 5 minutes plusieurs variations dont les orchestrations et phrasés permettent d’effrayer, d’apaiser ou de motiver le joueur selon l’heure de la journée in-game et surtout selon le lieu où il se trouve.

En effet, lorsque l’on est dans la Plaine d’Hyrule elle-même, on n’entend que les parties qu’on pourrait qualifier de « principales » du thème. L’orchestration est complète et les variations sur le thème principal ne sont pas très éloignées de celui-ci. Lorsqu’on entend ce thème au Lac Hylia, la génération contextuelle du morceau privilégiera les séquences les plus douces du thème, tandis que lorsqu’on grimpe le Mont du Péril, les portions les plus lourdes en percussions se feront invariablement entendre.

Ce choix des portions du thème selon le lieu est tellement subtil que je gage qu’encore aujourd’hui, tout le monde ne s’est pas rendu compte qu’il a lieu.

Edifices

S’il y a un type d’environnements où le travail d’ambiance de Koji Kondo est particulièrement prodigieux, c’est bien dans les donjons du jeu. Ces lieux parsemés d’énigmes et d’obstacles doivent encourager le joueur à la réflexion, donc il est tout naturel de s’éloigner du schéma typique d’un thème occupant tout le centre d’intérêt, baigné dans un accompagnement qui le met en valeur.

Kondo va plutôt oeuvrer à créer une sorte de « note d’humeur », au sein de laquelle des « fractions de thèmes » feront régulièrement irruption, avant de repartir en vitesse. L’orchestration d’humeur peut être très simple (elle est même carrément inexistante dans le cas de l’Arbre Mojo) ou très sophistiquée sans pour autant devenir ecoeurante, comme dans le thème du Temple de l’Eau : portées par des nappes synthétiques très lentes et réverbérées, des tas de percussions scintillent, dont certaines avec un écho totalement surréaliste créant une impression de ruissellement. Les fractions de thèmes se manifestent sous formes d’arabesques sans but de flûte et de motifs de shamisen autoritaires, comme pour souligner que dans l’architecture noble et sereine de ce temple, une épreuve brutale nous attend.

L’humeur du morceau dépend bien sûr du donjon et des thématiques qu’il explore. Par exemple, le Temple de la Forêt plongeant Link dans des angoisses intérieures, son ambiance est chargée, très peu mélodique et incorpore même des échantillons d’exclamations de la voix du protagoniste. Le Ventre de Jabu-Jabu étant situé, comme son nom l’indique, à l’intérieur d’un organisme vivant, son atmosphère est nimbée de claviers dissonants et rythmée par la pulsation de percussions assourdies qui ne sont pas sans rappeler (par hasard ou pas) celles du « Teardrop » de Massive Attack et de son clip se déroulant dans une poche amniotique sorti 6 mois avant le jeu.

Pareillement, les fractions de thèmes qui vont et viennent dans un morceau ne vont pas toutes remplir les mêmes fonctions. Les voix synthétiques et chimériques du Temple de l’Ombre cultivent sans relâche le malaise omniprésent de cette chambre de torture géante, tandis que la flûte boisée du Temple de l’Esprit virevolte comme une allégorie de l’esprit du joueur qui s’élève vers une meilleure compréhension de son environnement monumental et vaporeux.

Conflits

Pour la première fois depuis qu’il compose pour la série Zelda, Koji Kondo crée un thème vers lequel le jeu transitionne lorsque Link se retrouve en situation hostile. Il y avait auparavant des thèmes pour les combats opposant Link aux bosses des donjons, mais pas pour les combats ordinaires – à l’exception de Zelda II, dans lequel le jeu basculait carrément en écran de combat comme dans un RPG, et dont la musique était composée par Akito Nakatsuka.

Dans la continuité de ce travail d’ambiance colossal, Kondo réitère pour la musique des combats : celle-ci enveloppe le joueur de textures sans lui apporter le motif central que serait une mélodie principale. De la même manière que pour les thèmes de donjons,  l’ambiance se charge d’éléments non mélodiques (caisses claires, section rythmique monotone et oppressante, cordes martelant toujours les mêmes notes) et d’un son s’apparentant à une corne insinue quelques bribes de mélodies. Le but ici est de déséquilibrer le joueur plutôt que de le motiver. La musique raconte une situation tendue plutôt qu’un combat épique, ce qui prend à contrepied l’image que l’on avait classiquement des thèmes de combat, qu’il s’agisse de celui de Zelda II, de Pokémon ou, par exemple, de celui ô combien légendaire de Final Fantasy VII, sorti un an plus tôt.

Cette logique d' »ambiance de combat » plutôt que de « thème de combat » que l’on pourrait fredonner va rester prépondérante pour tous les thèmes de combat du jeu, jusqu’au combat final. Le combat de demi-boss ajoute à son accompagnement une mélodie qui semble incomplète, comme si elle démarrait pour revenir rapidement au début de la boucle sans vraiment se conclure. Le combat de boss repose sur une boucle de piano dissonante jouée dans les graves et, comme celui des combats ordinaires, incorpore une mélodie bien plus menaçante qu’épique, d’abord aux tubas/trombones, puis à la trompette, qui n’apporte aucune résolution avant d’être supplantée par un solo de timbales et de revenir au début de la boucle. On entend distinctement une mélodie centrale pour les combats contre les deux bosses de feu (King Dodongo et Volcania).

Ce sera la seule itération d’un véritable thème principal dans une musique de combat de ce jeu. Les musiques des deux combats finaux (opposant le joueur à Ganondorf puis Ganon) sont quant à elles au pinacle du schéma d’un thème qui ne semble comporter qu’un accompagnement. Ce parti-pris artistique (l’absence totale d’une mélodie principale) profondément anticlimactique apporte deux fonctions majeures à ces thèmes, tout particulièrement celui du combat contre Ganon : d’une part, ils incitent le joueur à agir en insinuant que c’est à lui de composer son combat ; d’autre part ils poussent le joueur à la réflexion, car ils ne l’emportent nulle part. On est subtilement invité à prendre le temps de planifier ses actions sans précipitation.

Des environnements extérieurs aux intérieurs, des situations paisibles aux combats, Koji Kondo a réalisé dans Ocarina Of Time, avec la simple palette sonore limitée d’une bibliothèque MIDI, un travail impressionnant d’architecture d’ambiance musicale. Mais il ne s’en est pas tenu à cela, bien au contraire. Ecoutons maintenant son recours à de nombreux thèmes pré-existants et futurs morceaux obligés de la série.


Anciens et nouveaux thèmes, usages multiples

A Link To The Link To The Past

Ocarina Of Time est le cinquième jeu sorti sous la licence The Legend Of Zelda. Il est également le troisième dont la musique fut composée par Koji Kondo, encore aujourd’hui le superviseur audio de la série. L’OST de ce jeu est l’occasion pour Kondo d’étoffer le catalogue des thèmes qui resteront associés à la série, mais aussi d’en réemployer quelques uns : ceci a pour double effet d’inscrire le jeu dans l’oeuvre globale qu’est la franchise Zelda et de saluer les joueurs connaissant déjà les opus précédents avec quelques signes familiers. Le lien avec le tout premier jeu Zelda est établi dès l’écran-titre, comme on l’a vu au début de cet article (il y a environ 74 ans). Mais c’est dans A Link To The Past que Kondo ira piocher des thèmes à proprement parler pour en faire les premiers thèmes « coutumiers » de la série.

Sélection de fichier – Fontaine des Fées

Ocarina Of Time renvoie au tout premier Zelda dès son écran-titre, mais il ne se fait pas prier pour rappeler A Link To The Past tout de suite après, sur le menu de sélection des fichiers. Ce thème reviendra aussi in-game, où il deviendra la musique d’environnement des Fontaines des Fées, lieux auquels il restera associé tout au long de la série. Mais il est loin d’être le seul dans cette situation.

Le Village Cocorico

Le Village Cocorico n’en est pas à sa première apparition quand on le découvre dans Ocarina Of Time. Il existait déjà dans le jeu précédent et Kondo décide, pour marquer le coup, de réutiliser son thème quasiment tel quel, en profitant de la meilleure technologie de production de son de la Nintendo 64.

Mais le compositeur ne rate jamais une occasion de jouer avec les sentiments du joueur. La première fois que Link arrive à Cocorico dans Ocarina Of Time, il est enfant. Pour rendre le village le plus accueillant possible, Kondo réorchestre le thème, privilégiant à la grandeur des cordes de la version A Link To The Past un accompagnement simple et doux à une seule guitare. Cette version qu’on pourrait dire plus intimiste du thème de Cocorico donne au village un air plus cossu faisant écho à sa disposition physique dans le jeu, niché entre des collines et le Mont du Péril.

Mais au fil de l’aventure de Link dans Ocarina Of Time, sept années défilent et Link peut revenir à Kokoriko à l’âge adulte. Le thème qu’arbore alors le village reprend cette fois-ci trait pour trait l’accompagnement aux cordes de sa version initiale. Ce changement subtil d’orchestration n’est pas anodin. Premièrement, à l’intérieur du jeu, Hyrule et le Village ne sont plus aussi prospères quand Link est adulte. Ces cordes, ainsi qu’une légère accélération du tempo, annoncent la gravité qui s’est installée au village en lieu et place de l’insouciance d’il y a sept ans. Deuxièmement, dans le monde réel, le fait pour le joueur d’entendre cet accompagnement identique à celui de la version A Link To The Past peut avoir l’effet suivant : se rendre compte du temps qui a passé. En effet, par un heureux hasard, Ocarina Of Time est sorti exactement 7 ans après A Link To The Past. Ainsi, un joueur ayant joué aux deux jeux à leur sortie y aura joué avec 7 ans d’écart. Ce retour à l’orchestration initiale (paroxysme de l’effet nostalgique) pour accompagner le passage à l’âge adulte de Link permet d’indiquer au joueur que le temps qui a passé dans le jeu est précisément le temps qui a passé entre les deux moments où il a entendu ces cordes.

Ganon/Ganondorf

Un autre thème majeur repris de l’épisode SNES n’est autre que celui de Ganon. Ce thème réapparaît dans Ocarina Of Time dans plusieurs cinématiques où Ganondorf s’adresse à Link, mais il est surtout le thème du tout dernier donjon du jeu, qui est d’ailleurs le seul à être littéralement un donjon : la Tour de Ganon. A mesure que Link gravit la tour pour sa confrontation finale avec le Seigneur des Ténèbres, le joueur entend de plus en plus fort ce thème, joué à l’orgue par Ganondorf lui-même. Une chose est intéressante à souligner : A Link To The Past est le dernier Zelda où Ganon est un personnage parlant. A partir d’Ocarina Of Time, il est associé à un pendant humain, Ganondorf. Ganondorf est un personnage parlant et intelligent, tandis que Ganon n’est plus que la forme bestiale prise par sa rage la plus primale et alimentée par la puissance de la Triforce de la Force. Or, également à partir d’Ocarina Of Time, c’est à Ganondorf que ce thème sera toujours associé plutôt qu’à Ganon. C’est donc plutôt le thème de Ganondorf que celui de Ganon, à partir du moment où la distinction entre ces deux entités a existé.

La passerelle des Sages

Un petit peu plus tôt, pour accéder à ce fameux chateau, Link doit trouver un moyen de franchir le précipice rempli d’un tourbillon de lave qui le sépare du plancher des vaches. Il y parvient après avoir sauvé les six Sages, qui font apparaître une passerelle de lumière qui permet la traversée. La musique que l’on entend au cours de cette cinématique n’est autre que le thème de l’écran-titre d’A Link To The Past.

Trésors

Dans Zelda, l’aventure nous mène à collecter de nombreux trésors, d’importance variable. Des jingles, voire de courtes cinématiques, accompagnent ces moments d’obtention de trésors. Ici encore, Kondo crée une tradition en entérinant pour de bon le thème entendu lors de l’obtention de l’Epée de Légende : le thème employé est exactement le même pour les épisodes SNES, N64, GameCube, Wii, 3DS et même Breath Of The Wild.

Une version un peu remodelée sert également, depuis Ocarina Of Time, à enjoliver les cinématiques d’ouvertures de gros coffres.

Ce thème n’est d’ailleurs qu’une mise en grande pompe du jingle accompagnant l’obtention d’un trésor important depuis le tout premier Zelda. Celui-ci sera d’ailleurs enrichi dans Ocarina Of Time pour générer la fanfare d’obtention d’un coeur supplémentaire qui sert encore à ce jour avec un glorieux piano dans Breath Of The Wild.

La Princesse Zelda

Pour créer le thème de la Princesse Zelda (qui lui collera à la peau désormais), Kondo récupère celui qui accompagnait la rencontre des descendantes des Sages (dont Zelda fait partie) dans l’opus SNES. Rarement une mélodie aussi simple que deux fois trois notes aura été aussi marquante que celle-ci, mais il est évident que ce n’est pas, pour le coup, le génie de composition de Kondo qui est entièrement responsable de ce phénomène. Le crédit revient essentiellement au fait qu’elle soit étroitement associée à la princesse titulaire de la série, ainsi qu’à la fréquence à laquelle le joueur doit lui-même jouer cette berceuse dans le jeu.

Toutefois, il est pertinent de souligner l’orchestration de ce morceau tel qu’on l’entend dans la cour de la princesse, au Château d’Hyrule : Koji Kondo crée un accompagnement constitué d’une harpe jouant de simples accords, doublée d’un très discret tapis de cordes, ces deux éléments évoquant sans nul doute la noblesse de la princesse, tout du moins celle qui est inhérente à son statut. Mais la mélodie principale, elle, est jouée à l’ocarina pour indiquer l’appartenance de l’Ocarina du Temps à Zelda plutôt qu’à Link, ainsi qu’une sagesse très contenue et mesurée, caractéristique intégrante du personnage à travers la série (à quelques rares exceptions près).

Créations mythiques

Ce travail d’orchestration, particulièrement sur l’association d’un timbre instrumental à un personnage, rappelle immanquablement le Pierre et le Loup de Segueï Prokoviev, oeuvre majeure dans laquelle le compositeur russe associera à chaque personnage un instrument aisément reconnaissable, comme la flûte traversière pour l’oiseau, les cors pour le loup ou le basson pour le grand-père de Pierre.

Kondo aura recours à ce procédé pour la majorité des personnages ayant un thème propre dans le jeu : Navi est représentée par le carillon, la chouette Kaepora Gaebora par un basson qui ne peut pas être un hasard quand on se souvient de l’oeuvre de Prokofiev, les deux sorcières Koume et Kotake magnifiquement incarnées par deux flûtes identiques et tournoyantes, mais surtout, Sheik se pare du double timbre de la harpe doublée d’un lit de cordes qui relèvre presque du spoiler si on s’y penche quelques secondes. Koji Kondo est un espiègle personnage…

Motifs récurrents

La musique de jeux vidéo est un terrain de prédilection pour l’utilisation par les compositeurs de l’outil qu’on appelle Leitmotiv. Ce terme compilé au XIXème siècle par des musicologues allemands bien plus pointus que votre humble serviteur désigne toute phrase, séquence de notes ou mélodie qui revient plusieurs fois au cours d’une oeuvre. Certains compositeurs de jeux vidéo manipulent les Leitmotive avec une grande dextérité, dont Nobuo Uematsu, grand maître de la série Final Fantasy, ou Matt Uelmen, auteur de motifs légendaires pour le jeu Diablo. Bien entendu, cette section sert à montrer comment Koji Kondo emploie de manière multiple la majorité des motifs qu’il a créés pour ce jeu.

Les chants d’ocarina

Au fil de l’aventure, Link, rapidement pourvu d’un ocarina, apprend à jouer une douzaine de mélodies ayant divers effets magiques. Les 6 premiers chants sont dits « monophoniques », c’est-à-dire que lorsque Link les joue au cours de la mini-cinématique associée, il les joue seul, sans accompagnement. Les 6 suivants sont dits « polyphoniques » car Link est rejoint par un accompagnement orchestral quand il les joue en entier. Les 6 chants polyphoniques, jouant tous la fonction de téléporteurs, sont tous magnifiques (avec une nette préférence personnelle pour le Boléro du Feu et la Sérénade de l’Eau), mais ce sont les 6 thèmes monophoniques qui brillent le plus de par leur statut de Leitmotive d’Ocarina Of Time.

  1. La Berceuse de Zelda est par association le thème principal du jeu. Elle revient à de nombreuses reprises, essentiellement lorsqu’on est en présence de la princesse elle-même. La Berceuse est aussi (à l’instar, dans une moindre mesure, du Chant de Saria), le thème du générique de fin du jeu. Enfin, la petite séquence de trois notes fait une apparition furtive dans le thème de Sheik.
  2. Le Chant d’Epona, morceau qui scelle la relation rapprochant Link de sa fidèle monture – et permet au joueur de la faire arriver à proximité – est également le thème du Ranch Lon-Lon, lieu où l’on rencontre la jument. Lorsque le joueur se promène dans la quiétude nonchalante du ranch, il entend le chant d’Epona entonné soit par la voix synthétique (et atroce, soyons francs) de Malon, soit par ce qui semble être un harmonica ou un fiddle, s’intégrant naturellement à l’accompagnement décidément country/sudiste du morceau.
  3. Le Chant de Saria, version hyrulienne du téléphone portable ayant Saria pour destinataire unique, est aussi le très célèbre thème des Bois Perdus, au fond desquels Saria le joue elle-même sur un Ocarina des Fées. Ce thème fait aussi une apparition dans le générique de fin.
  4. Le Chant du Soleil est le seul chant du jeu qu’il n’est pas nécessaire d’apprendre pour le finir, et pourtant l’un des morceaux prépondérants de l’OST. Permettant à Link de faire passer 12 heures en quelques secondes, le Chant du Soleil peut surtout être entendu à tous les endroits où résonne le thème de la Plaine d’Hyrule, au lever du jour. Il est donc l’intro de ce thème. Par extension, si l’on considère que chaque apparition in-game d’un chant monophonique est sa version complète, la version complète du Chant du Soleil est le thème de la Plaine d’Hyrule. Il dure donc environ 5 minutes, ce qui en fait le chant d’ocarina le plus long du jeu. L’apparition du Chant du Soleil au lever du jour est devenue une tradition de la série, mais aucun autre thème ne se marie aussi bien avec cette intro que celui de la Plaine d’Hyrule.
  5. Le Chant du Temps, à l’instar de la Berceuse de Zelda, a des pouvoirs magiques variés, dont celui d’ouvrir les Portes du Temps qui gardent l’Epée de Légende dans le Temple… du Temps. Ce chant, le seul chant monophonique qui soit distinctement sombre et mélancolique, est sans surprise celui que l’on entend dans le Temple du même nom, chanté par un choeur d’apparence monastique. Enfin, ce même thème accompagne la cinématique-pivot de l’ouverture des Portes du Temps, à l’occasion de laquelle Kondo utilise le mécanisme dit de « tierce picarde » pour conclure la scène sur une note satisfaisante, contrastant avec le ton triste du chant lui-même.
  6. Le Chant des Tempêtes, permettant de déclencher un orage à tout moment, est également le thème du Moulin à Vent (officiellement « ? » dans le jeu), où il est joué par le musicien qui s’y trouve, à l’orgue de barbarie.

Création d’héritages

Deux autres thèmes issus de ce jeu sont restés des thèmes obligatoires pour leurs locaux respectifs au fil de la série :

Deux grands absents

Il est désormais évident que l’OST d’Ocarina Of Time contribue énormément au positionnement du jeu dans ce qui s’installait peu à peu comme une série pilier de la culture vidéoludique, de par l’entérinement de certains thèmes pré-existant et la création d’autres futurs impondérables musicaux de la série. Cependant, deux thèmes pourtant incontournables de la franchise Zelda sont, eh bien, contournés par le premier jeu en 3D de la franchise.

Le thème du Château d’Hyrule, splendide et imposant arrangement symphonique (enfin, en 16-bit quand même) apparu dans A Link To The Past et réutilisé avec toujours autant de superbe plus ou moins à chaque fois qu’un épisode de Zelda voyait Link arpenter ledit Château (par exemple dans A Link Between Worlds), ne figure pas dans l’OST d’Ocarina Of Time. Pourtant, Link se promène devant et dans le Château, et pas de manière anecdotique ! Mais cette omission de thème n’est qu’un détail comparé à l’autre…

Eh oui, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le thème principal de la série The Legend Of Zelda est totalement absent du jeu le plus vénéré de cette série. Peu de jeux Zelda peuvent en dire autant. Même ceux qui se passent dans des contrées différentes d’Hyrule trouvent un moyen de le caser quelque part. Majora’s Mask se permet même de réitérer ce que le premier jeu et A Link To The Past avaient fait et le prend comme thème de sa plaine principale, mais nous reviendrons sur ce point dans un autre article (héhé).


Je pourrais détailler davantage les spécificités de certains thèmes, les similitudes inter-franchises des thèmes de mini-jeux de Koji Kondo ou le travail non-musical macabrement fascinant des thèmes les plus lugubres du jeu, mais je pense avoir couvert le plus gros de ce qui rend cette OST aussi brillante.

The Legend Of Zelda: Ocarina Of Time est un jeu incontournable pour quiconque voit les jeux vidéo comme une culture à proprement parler et il surgit très fréquemment dans de nombreux « Top ?? » rétrospectifs. Mais bien qu’il y soit salué à juste titre pour ses apports révolutionnaires de techniques de gameplay ou de narration interactive, sa bande-son n’est bien souvent mentionnée que très brièvement. On la dit souvent excellente, mais on dit plus rarement pourquoi.

J’espère humblement avoir apporté ici quelques éléments de réponse.

 

Au fait, la musique du jeu termine sur une note suspendue. Classe jusqu’à la dernière note, ce jeu.

 

Big up à GilvaSunner pour sa collection exhaustive de musiques de jeux sur YouTube.

The Dark Side Of The Moon Chart

The Dark Side Of The Moon de Pink Floyd est un album incroyable sorti en 1973 et n’ayant pas pris une ride depuis. Il s’est vendu à plusieurs dizaines de millions d’exemplaires et tout le monde reconnaît son image de couverture de loin.

DSOTM

J’aime énormément ce disque, que j’ai écouté des centaines de fois, mais le but ici n’est pas d’en écrire une critique. Je me suis penché il y a quelque temps sur une citation d’un musicien très proche du groupe, Jon Carin, que je vous reporte ci-dessous :

One of the great things about an album like The Dark Side Of The Moon, for example, is what is not played. The way instruments appear and then GO AWAY! Sometimes for great periods of time. The Hammond Organ enters for the first time on the “Run rabbit run” line in “Breathe” and then goes away until the middle of “The Great Gig in the Sky,” then doesn’t reappear until “Us and Them,” then goes away until “Brain Damage”/“Eclipse.” It is only on 4 songs on the whole record. The Farfisa Organ is used instead on Home and “Time,” and there is no Hammond at all on Home, “Time,” “Money” and “Any Colour You Like.” It would kill it to have it on those tracks. Space is key.

Traduit par moi, ça donne :

Une des choses géniales sur un album comme The Dark Side Of The Moon, par exemple, c’est ce qui n’est pas joué. la manière dont certains instruments interviennent, puis S’EN VONT ! Parfois, pour une durée assez importante. L’orgue Hammond fait son entrée sur le vers « Run, rabbit run » de « Breathe », puis il disparaît jusqu’au milieu de « The Great Gig In The Sky », puis repart et ne revient que sur « Us And Them », puis repart et revient pour « Brain Damage/Eclipse ». Il n’est présent que sur 4 chansons de tout l’album. L’orgue Farfisa le remplace sur Home et « Time » et il n’y a aucun Hammond sur Home, « Time », « Money » et « Any Colour You Like ». Cela tuerait l’album s’il y en avait sur ces pistes. La clé c’est l’espace.

En effet, l’exemple pris par Jon Carin des deux orgues électriques Hammond et Farfisa, dont les sonorités sont très différentes, est extrêmement parlant, car l’orgue Hammond est un instrument tellement flamboyant que malgré sa présence sur seulement 4 des 10 morceaux, l’auditeur en retient distinctement la marque sur l’album. Et c’est sans doute grâce au contraste avec l’orgue Farfisa, plus doux et discret. Si toutes les parties d’orgue avaient été jouées au Hammond, alors le vrombissement de ce dernier aurait paradoxalement été moins remarquable, donc moins reconnaissable !

On peut faire le même constat sur les pianos : Richard Wright a recours à un piano acoustique et deux pianos électriques, des deux maisons iconiques Wurlitzer et Rhodes.

  • Les pianos Wurlitzer sont connus pour des amorces très pointues et une rondeur de note survenant uniquement dans un second temps. Pensez par exemple à « Goodbye Stranger » de Supertramp, pour vous faire une idée de cette sonorité.
  • Les pianos Rhodes, à l’inverse, ont une amorce bien plus molle, mais une rondeur immédiate, même veloutée. Un bon exemple de piano électrique Rhodes est celui joué par Ray Charles sur « Shake A Tailfeather ».
  • Est-il utile de présenter le piano acoustique ?

En prenant les chansons dans l’ordre :

  1. Speak To Me n’utilise pas de piano
  2. Breathe utilise un piano Wurlitzer
  3. On The Run n’utilise pas de piano
  4. Time utilise un piano Rhodes
  5. The Great Gig In The Sky utilise un piano acoustique
  6. Money utilise un piano Wurlitzer
  7. Us And Them utilise un piano acoustique
  8. 9. et 10. Il n’y a plus de piano sur l’album.

La couverture de l’album reflète un aspect majeur de cette oeuvre, qui est la variété des sonorités et des humeurs que l’on parcourt à son écoute. Je pense que Jon Carin met le doigt sur un aspect majeur de ce disque, qui est effectivement ce jeu de chaises musicales auquel les instruments et sonorités se livrent. Même chose pour les voix : trois des quatre membres du groupe chantent en lead à des moments distincts du disque, ce à quoi s’ajoutent la performance incroyable de Clare Torry sur « The Great Gig In The Sky », les voix des quatres merveilleuses choristes sur 4 des chansons, et enfin des voix de personnes discutant de folie et de violence, enregistrées et parsemées sur l’album par le bassiste Roger Waters.

En ajoutant à cela les bruitages divers et variés, les changements de rythmique soudains et les transitions imbattables, nous avons un disque qui a une grande cohésion d’ensemble, mais regroupe en réalité des tas de séquences extrêmement disparates.

J’ai tâché de répertorier toutes ces variations sur un graphe reprenant les couleurs de la couverture du disque (pour le style).

DSOTM chart

Cliquer ici pour l’ouvrir en taille réelle

  • La largeur des colonnes sert à représenter la durée relative des chansons, pour représenter la durée globale de l’album de manière représentative.
  • J’ai distingué vocals (chant) de lyrics (paroles) car ce n’est pas toujours la même personne qui chante et qui a écrit les paroles
  • Music indique que cette personne a composé ou co-composé la musique de la chanson donnée.
  • Un triangle indique un lead, c’est à dire soit un chanteur principal, soit un solo instrumental. Les solos sont positionné globalement au moment où ils ont lieu dans la chanson donnée.

Voilà, il y a effectivement pas mal de variations !

Le temps, c’est de l’argent – un peu de calcul

Dans un pays où les inégalités économiques se creusent, sous forme de croissance du nombre de foyers placés sous le seuil de pauvreté et du nombre de milliardaires sur son sol, je me suis livré à un petit exercice de calcul, pour visualiser un peu mieux l’échelle de la fortune d’un milliardaire. Pour cela, je vais faire une analogie avec la mesure du temps, en particulier en assimilant un euro à une seconde. Je vais écrire les nombres en chiffres et en lettres pour une plus grande lisibilité.

Il y a 60 (soixante) secondes dans une minute, donc il y a 3 600 (trois mille six cents) secondes dans une heure. Par extension, il y a 86 400 (quatre-vingt-six mille quatre cents) secondes dans une journée et 31 536 000 (trente-et-un millions cinq-cent-trente-six mille) secondes dans une année non bisextile.

J’attire votre attention sur le fait que même en dénombrant le nombre de secondes que contient une année entière, on est encore loin de compter à l’échelle du milliard de secondes. Un milliard (1 000 000 000) de secondes, c’est environ 31 ans, 8 mois et 19 jours.

Un milliard d’euros, c’est autant d’euros qu’il faut de secondes pour atteindre 31 ans, 8 mois et un peu plus de 19 jours.

Prenons la fortune estimée à ce jour d’un milliardaire, Bernard Arnault : 74.7 milliards d’euros (74 700 000 000 €).

74.7 milliards de secondes, ça fait un peu plus de 2 368 (deux mille trois-cent-soixante-huit) années.

Autrement dit, si Bernard Arnault arrêtait subitement de gagner le moindre centime aujourd’hui, il pourrait encore dépenser 1€ par seconde (donc 3 600€ par heure, donc 86 400€ par jour) pendant 2 368 ans.

Là aussi, j’aimerais visualiser l’échelle de cette durée qui ridiculise l’espérance de vie humaine. Donc je vais me tourner vers l’histoire, vers le passé.

Il y a 2 368 ans, Platon était vivant.

C’est plus clair, maintenant ?

Feuille Morte

Encore un automne et, encore une fois
En voyant les feuilles mortes, je pense à toi
Depuis le temps, le monde n’est pas resté tel quel
Alors j’en profite pour te donner des nouvelles

On parle toujours de ton humoriste préféré
Mais c’est parce que ses mots se font récupérer
Déformer, marteler par des usurpateurs véreux
Qui le tuent à nouveau, tant ils sont cancéreux

D’ailleurs, le cancer ne s’est pas calmé pour autant
Il a emporté le pianiste du plus grand groupe de tous les temps
Alors ils ont, certes, sans prendre beaucoup de risques
Fini par sortir et lui dédier un dernier disque

Le chanteur qui scandait que la société l’aurait pas
Eh bien, elle l’a eu ; je suis soulagé que t’aies pas vu ça
Sa musique se dégrade autant que son état
Il va finir victime des mêmes faiblesses que toi

Ca n’arrivera pas à ta progéniture, je te rassure
Si tu pouvais voir à quel point ta fille assure !
Le bulldozer aux yeux bleus, ton gâillou
Et d’ailleurs, quand c’est qu’il passe, le marchand de cailloux ?

Je sais pas si c’est moi ou tous les autres qui ont un grain
J’essaie d’y réfléchir en prenant une gorgée de vin
Comme tu l’aimerais, rouge avec une pointe de chagrin
Comment tu occupes ton temps, à celle du Devin ?

J’y suis passé l’été dernier, histoire de montrer ma gueule
J’imagine que t’as remarqué que j’étais pas venu tout seul…

Depuis que tu te terres dans ce repaire
Dans tous mes rêves, je te re-perds
Et avec toi, amer, tous mes repères
Je voulais faire de toi un heureux père !

Je veux faire comme toi en séduisant
Mais surtout pas en conduisant
Allez, j’arrête d’être médisant
Putain… ça fait seulement dix ans

Je t’aime, je pense à toi, je t’oublie pas, Papa
Passe le bonjour au tien et prends bien soin de mon chat.